Organisé par la Mission du Saint-Siège auprès de l’UNESCO et le Conseil Pontifical pour la pastorale des Services de la Santé

Colloque : "La douleur : énigme ou mystère"

Maison de l’UNESCO, le 10 décembre 2003

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Colloque organisé sur le sens de la douleur, à l’occasion des l’année européenne des personnes handicapées.

Intervention du Cardinal Barragán
Intervention de Son Eminence le Cardinal Javier Lozano Barragán, Président du Conseil Pontifical pour la Pastorale des Services de la Santé.

Extrait de l’intervention de Son Eminence le Cardinal Javier Lozano Barragán :

La douleur dans le lettre apostolique Salvifici Doloris de Jean Paul II

Nous n’aimons pas les limites. Nous sommes habitués au « Plus ultra ». Pourtant, à l’improviste, ce qui est illimité semble absurde et ce qui est limité aussi : c’est le problème que contemple le postmoderne lorsqu’il parle du paralogisme de l’instabilité. Dans une conception mécaniste le non limité exige la cause finale et le limité exige le motif ; mais on prétend actuellement que les deux questions ne doivent pas être posées puisqu’on ne doit pas dépasser la quotidienneté, au maximum, on peut prétendre une séquence simplement descriptive et rien de plus. Seule une perspective analytique descriptive semblerait privilégiée, dans laquelle on s’habitue à voir seulement une chose à la suite de l’autre, dans un simple enchaînement, comme du point s’ensuit la ligne et de la ligne le plan, sans dépasser une mentalité strictement mécanique. [...]

Invitation au colloque du 10 décembre 2003

Padre Pio, sa souffrance et sa réponse à la souffrance :
la compassion pour les malades

par le Père Luciano Lotti, O.F.M.Cap.
Directeur de la revue "Studi su Padre Pio", Tremoli, Italie

À tout le monde qui est ici, je vous salue cordialement et fraternellement, au moyen de Saint Francois "Paix et bien".

Un merci de tout cœur aux organisateurs du colloque, et en particulier à Mgr Francesco Follo, qui a pensé et voulu cette rencontre. Mille fois merci à l’UNESCO : ce lieu est pour moi sacré, parce qu’il est siège des idéals du respect humain, qui sont les références de ma vie. En plus, je vous apporte les salutations du Père Giammaria Di Giorgio, et du Père Fortunato Grottola, qui sont ici pour représenter la Fondation "Centres de Réhabilitation de Padre Pio" qui a désiré fortement cette rencontre. C’est le désir de la Fondation de faire connaître la synthèse de foi et de charité qui a caractérisé l’expérience terrestre de Padre Pio de Pietrelcina, et que les confrères, bien conscients des limites de chacun, essaient de propager.

Sans doute, Padre Pio a été l’homme qui dans la foi a cherché et a reconnu dans la face du Christ l’image de celui qui se sacrifie pour les autres : ses souffrances étaient une participation profonde aux douleurs et à la mission de Jésus. Mais Padre Pio a connu constamment les souffrances du Christ, pas seulement celles du Christ sur la Croix, mais aussi dans les visages de ses frères. Sa charité n’a pas été seulement solidarité ou la présence constante au côté de celui qui souffre, mais elle était une connaissance du territoire et la recherche - quelquefois angoissée et tourmentée - de réponses et de solutions pour les demandes d’aides qui lui environnaient.

Tel est le sens final de la Fondation qui a suscité chez les frères capucins le désir d’organiser les Centres de Réhabilitation qui sont nés au nom de Padre Pio : une Fondation qui écoute les demandes des plus faibles, des moins écoutées, une Fondation qui apporte de l’aide dans ces lieux et dans ces moments que l’on pense moins gagneuses ou politiquement moins important. Un travail constant et silencieux, conscient que le vrai Padre Pio n’est pas celui des medias ou des étoiles fameux, mais le vrai Padre Pio est celui qui devient selon ses mêmes mots « un émissaire pour tout le monde ».

La douleur journalière

Pour expliquer combien de distance il y a entre le Padre Pio des « miracles faciles » le Padre Pio des milles légendes et le vrai Padre Pio, celui signé par la Croix, permettez-mois de faire une comparaison adopté du monde de la peinture. On est en France, la patrie de l’impressionnisme, ce mouvement qui voulait séparer la grandeur, le nom fameux, l’évent global, pour représenter les choses du quotidien, un quotidien qui est une partie de chacun. Et donc, ainsi que les caractères de grande importance ou d’une bataille importante, dans les cadres de l’impressionnisme on trouve une taverne, un faubourg parisiens, une danseuse, une vieille chaise. C’est l’essentiel qui devient importante, deviennent importantes les formes, les lignes des visages, la lumière et les couleurs des paysages. Tout ce qui reste est enveloppé dans un mystère fin, ce mystère qu’on ne peut pas célébrer dans le faste d’une grande peinture, mais seulement dans les yeux de celui qui devient notre ami, notre copain pendant les jours ouvrables.
« Pour beaucoup de temps » disait un jour Padre Pio « j’ai cherché de remuer la douleur du monde, mais puis je me suis dit : ‘Qui sont pour vouloir enlever la douleur du monde si Dieu même ne l’a pas enlevé ?‘ Donc, j’ai simplement choisi d’apporter soulagement à la souffrance ! Ici on trouve le Père Pio que j’ai connu pendant les années de mon enfance et de mon adolescence : un homme qui était signè par la douleur, un homme qui n’a jamais exhibé sa souffrance, un homme sculpté dans les lignes essentielles de ses yeux profondes, de sa barbe, des pieds qu’il se traînait avec grande difficulté, des plaies cachent par ses gants. On peut dire qu’il est un saint « impressionniste », capable de raconter et exalter le quotidien, en donnant une maison, un visage et une dignité à la douleur journalière, on peut dire que son image est tracée dans ses lignes essentielles parmi les stigmates qu’il portait sur son corps, mais il est aussi enveloppé dans ce mystère qui est le respect pour l’homme.
En 1903, quand il avait seize ans, Padre Pio entrait dans le convent de Morcone, pour devenir père capucin. Il connaissait la vie, le moyen pour faire pénitence et la prière des frères capucins. Il apprenait chez eux à méditer sur la passion de Christ, il pleut devant la Croix, au point que ses copains d’études disaient que les larmes arrivaient au pavement. Après des années il demandera à son père spirituel de s’offrir comme victime pour les pécheurs, pour un sentiment de solidarité avec Jésus sur la Croix. Et pour amour de la Croix, il veut apporter soulage à la souffrance de l’humanité : en 1956 on inaugura à San Giovanni Rotondo la « Maison soulage de la souffrance », « lieu de prière e de science » ce sont les mots qu’il dit le jour de l’inauguration, « où le genre humain se retrouve dans Christ Crucifix, comme un seul troupeau avec un seul pasteur ».
Entre ces deux dates, on trouve le mystère de la douleur d’abord dans sa personne, puis dans le visage e dans les plaies des autres. Dès 1909, Padre Pio, en quelle date il était encore frère Pio, ne vivait plus dans le convent : une pathologie étrange lui force de rester dans son lit, il avait des températures très haut, les témoignages des médecins parlait de températures jusqu’à 52°, vomit, douleurs violentes. Entre 1909 et 1916 il essayait plusieurs fois de rentrer dans le convent, mais les médecins lui disaient de rester chez lui ; la diagnose était plutôt un jugement que une diagnose : permettons-lui de mourir chez sa famille. En 1910, il devient sacerdoce en avance, car la mort est prochain. La souffrance est un mur qui lui rende isole de ses confrères, qui lui rende prisonnier dans son lit, au plus, dans le silence de Piana Romana, la campagne où ses parents allaient cultiver leur ferme. Mais il est calme, ce souffrir commence à lui donner une expérience diverse de Dieu : il découvre que souffrir pour une personne aimée transforme le mur en une grande porte, à travers laquelle, après avoir tout perdu, on entre dans une nouvelle dimension.

Se déshabiller pour se rhabiller

Le 26 mars, 1914, probablement exactement dans le silence de Piana Romana, il a une expérience très particulière : « à peine je suis en train de prier, je sente mon cœur envahi par une flamme d’un amour vif ; cette flamme n’a rien à voir avec quelconque flamme de ce monde bas. Elle est une flamme délicate et très douce qui déchire et n’apporte pas du mal. » La douleur physique, l’isolation des autres, les incompréhensions pour l’exile forcé, au dehors du Convent, n’existent plus. Mais, au contraire à ce qu’on peut penser, Dieu ne le tien pas au dehors de la réalité, il ne le garde pas dans une incubatrice spirituelle. La lettre continue en cette façon : « le Seigneur a mis l’âme dans un renoncement plus grand des choses de ce monde, e je sente que Il lui donne toujours plus de force dans la liberté de l’esprit. Dans cette âme, il me semble que Dieu y a versé beaucoup de grâces en respect des pauvres qui en ont besoin. L’autre grande compassion que l’âme sent quand elle voit un pauvre permit que dans ce centre-même y naisse un impétueux désire de lui aider et si je regardais ma volonté, je voudrais me déshabiller pour lui habiller. Si, ensuite, je sais que une personne est affligée, dans l’âme et dans le corps, je ne sais pas ce que je ferais de tout le possible chez le Seigneur, pour le voir libre de ses maux ? volontiers je m’adosserai, ainsi de lui voir sauf, tous ses souffrances, donnant pour lui les fruits de ces souffrances, si le Seigneur me permit de faire ça. »
La douleur des hommes devient plus important de sa propre douleur, ainsi il voudrait prendre pour lui-même la douleur des autres, s’emparer à fin que il ne les voit souffrir.
L’expérience de la guerre a aiguisé son isolation. Quand on l’a appelé pour la visite militaire, il était si souffrant qu’en lisant la diagnose du médecin, il écrit en ça façon à son père spirituel : « j’aurais voulu vous faire sentir la diagnose qu’on ma fait quand je suis sorti de la clinique. Tout mon corps est un corps pathologique. Catarrhe bronchial diffuse, l’aspect squelettique, la pauvre nutrition e tout le reste. Mon Dieu, combien d’injustices qu’on commet. » ce sont les jours de la première guerre mondiale. Bien que que sa maladie est grave, Padre Pio est reconnu valide pour le service militaire et on l’envie à Naples, chez le Département de la Santé. Après peu de jours, a contact avec la grande souffrance de la guerre, Padre Pio ne pense plus à lui-même : « Les horreurs de la guerre, mon père, me tiennent toujours dans une agonie mortaille. Je voudrai mourir pour ne voir plus tant de carnages ; et si le bon Dieu voudra me concéder, dans sans grande merci cette grâce, comme je serais Lui obligé »- Mais Padre Pio aura le coup de grâce en 1929. Sa mère lui visite pendante les vacances de Noël ; il faisait très froid, mais elle ne voulait pas mettre un manteau chaud qu’on lui a emprunté, car elle ne voulait pas sembler une femme riche, elle, la mère d’un prête si pauvre. Ensuite, elle mourra, à cause d’une bronchite, dans les bras de son fils ; il n’avait pas de moyens pour la curer. Maintenant Padre Pio sait ce qu’il doit faire.
Après quelques années, il commence à parler avec ses amis, on constitue une commission, puis la guerre, ensuite l’après guerre, les premiers fonds et de suite jusqu’à 1956. Toujours autour de lui, il y avait la coralitè de la douleur, mais – surtout – une réponse unanime à la souffrance. S’il y a une caractéristique à regard du moyen de vivre de Padre Pio, c’est juste cette attention à pas vouloir agir lui-même : ce sont les autres, ceux qui lui enseigne, ceux qui lui parle de ses projets, qui agissent. Quand il y avait la première réunion du commission pour la construction de l’Hôpital, il n’est pas présent ; et il l’approuvera et on donnera un nom seulement après quelques jours : seulement après que les autres ont pris la leur responsabilité au regard du projet, il a commencer sa action.
Padre Pio est l’homme qui créera la solidarité autour de la douleur, mais il sait aussi attendre que cette solidarité bourgeonnait et produit une fleur dans le cœur de ceux qui sont autour de lui. Quelques fois il avait attendu des années pour exemple , pour l’arrive de l’institut de formation professionnel dans le quartier des mineurs. Autres fois, il a du attendre après sa mort, pour exemple pour les Centres de Réhabilitation.
Nous avons seulement une petite trace dans un des premières éditions du petit journal « Maison de la Souffrance » la publication liée à l’Hôpital et aux groupes de prière. A page 3, du numéro 5, de l’ans 1950, il y a seulement une photo de la montagne, avec une petite didascalie : « Ici il y aura le centre pour les poliomyélitique, pour la rééducation des enfants affectés de la paralyses infantile. »
Après beaucoup d’années, en 1972, 4 ans après sa mort, grâce aux travaux de P. Michele Placentino, et d’un groupe de dévotes à Padre Pio, commença à San Giovanni Rotondo le projet d’un Centre auxologique pour les enfants avec des handicaps. Les poliomyélitiques étaient diminués, mais il y avait toujours les problèmes qui regardaient ces enfants, et même la mémoire d’un projet de Père Pion n’étaient pas diminué.
Dans le cœur d’un confrère, le graine était bourgeonné, et maintenant il était une très grande fleur, même si avec le temps les progrès de la médecin et les nécessites du centre ont réclamé des adaptations continues. Aujourd’hui, les Frères Capucins, confrères de Padre Pio, managent, pour réaliser son désire, 26 centres de réhabilitation autour des quels travaillent plus de 400 personnes, avec 2000 médicaux par jour. L’orgueil du projet est le centre de réhabilitation pour les aveugles, appelé « les Anges de Padre Pio. », où on hospitalise les enfants pour 4 semaines en ensemble avec leur parents. Et c’est dans ce centre qu’ pratiquant en ensemble diverse nouvelle thérapie (pour exemple la musique thérapie), les enfants apprennent à diriger sa vie, difficile c’est vrai, mais ils partagent avec leur famille un chemin de croissance humaine et spirituelle. En Italie, aujourd’hui, on préfère parler de personnes diversement habiles ainsi que de personnes avec des handicaps. C’est un belle chose voir qu’aussi avec les mots on reconnaît toujours de plus les droits de la personne humaine. A fin que ce pensé ne reste seulement un discours de façade, la fondation de Padre Pio de Pietrelcina soigne en particulier la préparation de son personnel, parce qu’ils doivent travailler pour récupérer la personne complètement, et parce qu’ils doivent leur donner ces instruments pour les rendres toujours présents et vifs dans cette société, riches de leur diversité et pas esclave de elle.
Il y a deux personnes merveilleuses dans la vie chrétienne de nos temps, et dans la vie de. Padre Pio. : une, au bout de sa vie et une à la fin. Entre les deux, il se met comme un ponte pour indiquer comme le chemin de Foi deviens toujours plus et plus un chemin de Charité.
Le siècle XIX se conclue avec la mort, en 1897 de Thérèse de Lisieux, laquelle s’offre victime a Dieux pour la conversion des pécheurs. C’était une vie brève qu’elle a offert pour les autres, à fin qu’ils ont le bien suprême : la salvage de l’âme.
Le XX siècle se conclue, le 5 septembre 1997, exactement un siècle après la mort de Thérèse, avec la mort de Mère Thérèse de Calcutta, la mère des abandonnés, celle qui en embrasse le crucifix, dans lequel elle a reconnu les visages de tous les pauvres du monde.
Padre Pio n’est pas seulement le joint de conjonction entre ces deux existences, mais ils semblent théoriser sur la douleur physique e spirituelle, que, à travers deux chemins différents, ces deux femmes merveilleuses ont embrassé. Son œuvre la plus belle, la maison soulage de la souffrance doit être, selon lui, le lieu dans lequel « l’amour pour Dieu devra se renforcer dans l’esprit du malade, à travers l’amour pour Jésus Crucifix, et cet amour portera de ceux qui assisteront la maladie de son corps et de son esprit. Ici les hospitalisés, les médecins, les sacerdoces seront réserve d’amour, lequel sera plus abondant dans les uns quant plus il se pourra communiquer aux autres. La douleur ne sera plus un mur, mais elle sera la porte merveilleuse qu’il a traversé pour la première fois, et a travers laquelle il veut conduire les autres ; la porte qui se ouvre sure une nouvelle dimension—celle de l’homme redenté et reconstruit parmi sa même douleur.

Père Pio : une douleur pleine d’espérance

Violaine, la protagoniste de l’Annonce à Marie, par Paul Claudel, prend entre les bras le petit corps de sa nièce, une goût de lait sort de son sein, touche la fille, e la fille vive. Violaine était la lépreuse, devenu tel par avoir donner un baise à un amoureux, qui elle refuse, car elle était déjà fiancée avec James. Ce baise était en ensemble piété pour cet homme, mais il lui donnait la lèpre et la condamnation en commun : pour tout le monde, cette douleur était la punition de Dieu. La douleur e la souffrance pour cette injustice était la paix pour Violaine, laquelle dans l’obscurité de la caverne avait rencontré Dieu, pas comme bourreau, mais comme amour pur. Ma cette douleur à était la rédemption aussi pour Pierre le lépreux, lequel guérit de la lèpre, a était la résurrection pour la petite nièce, née du mariage de James, son fiancé, avec sa sœur : les premiers accusateurs.
Il était exactement pendant les années que Paul Claudel écrivait, que Père Pio avait vécu ses premiers passait de son expérience de stigmatisé. Paul Claudel nous raconte d’une société respectable, prêt a s’approprier du jugement de Dieu, décis a voir dans la douleur seulement la défaite et la punition, ferme pour chaque espérance et pour chaque possibilité de rédemption, et il représentait en Violaine-comme écrivait don Luigi Giussani- » l’invitation de Dieu de rester a sa propre place dans le monde, et on ne peu faire pas ça que a travers la croix, mais de la croix à la résurrection, pas la résurrection de l’au-delà mais ici. » Ce monde prêt a ce approprie du jugement de Dieu faisait de Père Pio un crucifix, beaucoup outre les plaies même qu’il avait sur son corps. En plusieurs ce sono acharné pour comprendre dont ces plaies venaient, si elles venaient de Dieu, ou si elles étaient le résultat de la mente fervente, et peut-être hystérique d’un homme, mais le peuple, les pauvres qui ont toujours fait l’histoire, sont allés au dehors et ils ont compris que ces stigmates étaient la rédemption d’une douleur, étaient la réponse de Dieu aux plusieurs stigmates du vingtième siècle.
Maintenant nous sommes ici pour nous demander si la douleur était énigme ou mystère. Je voudrai répondre avec les mots de Dag Hammarskjöld,, secrétaire général de l’ONU des 1953 jusqu’à 1961, ans dans lequel il meurt pour un incident d’avion, peut-être un attentat, Prise Nobel pour la paix, lui donné après sa mort. Dans un manuscrit, trouve après sa mort, avec le titre Trace d’un chemin, il parle de soi-même et de son expérience intérieure en utilisant la troisième personne de narration : « Dieu est en lui, parce qu’il est en Dieu. Forte, libre car son ego n’existe plus. Pour qui aime seulement soi-même, la douleur restera toujours une énigme parce qu’il continuera à se revolver autour sa propre image, pris dans les labyrinthites de ses certitudes. Pour celui qui aime et qui croit –nous semblent dire Hammarskjold—la douleur est mystère, le mystère d’un encontre qui est toujours richesse et espérance. Père Pio a touché avec sa main le mystère et la douleur est devenue espérance.

Je vous remercie encore une fois, pour mois et pour la Fondation Centres de Réhabilitation, pour nous avez donnez le permis d’être logés dans ce lieu fait grand pour les efforts et les sacrifices de tous, audélas là des couleurs, des symboles politiques et des fois religieuses

Intervention de Monsieur Alain Saint-Macary
Les communautés de l’Arche, une réponse à la souffrance

"Il n’avait ni beauté ni éclat pour attirer nos regards…"
Objet de mépris, abandonné des hommes,…"

Les personnes qui ont un handicap mental peuvent s’identifier à ces versets du Chant du serviteur de Yahvé dans le Livre d’Isaïe.

Leur souffrance est double :
-  Elles pâtissent des limites dues à leur handicap : déficience intellectuelle, corps mal formé ou malhabile, instabilité émotionnelle, troubles psychologiques,…etc. Il leur faut vivre dès la naissance ou la petite enfance avec ces limitations qui, si elles peuvent être en partie compensées, ne peuvent certainement pas être supprimées.
-  Mais, ce dont elles souffrent le plus profondément, c’est de se sentir différentes, d’être vues comme incapables, d’être dévalorisées et parfois rejetées. Dès le début de leur vie, au lieu d’être ressenties comme une joie, elles sont perçues comme un problème, comme un fardeau. Plus tard, elles souffrent de ne pas être jugées dignes de prendre place dans le tissu des relations humaines, encore moins de participer à la construction de la société des hommes et des femmes de leur temps.

C’est pour répondre à ce deuxième type de souffrance que sont nées les communautés de l’Arche il y a quarante ans. Lorsque Jean Vanier a rencontré Raphaël et Philippe, deux hommes handicapés qui avaient été relégués dans de grands asiles inhumains, il a été scandalisé par cette injustice. Il a entendu leur cri, un cri pour être aimés et reconnus, qui est le cri fondamental de tout être humain. Il a pris le risque de les inviter à venir vivre avec lui dans une petite maison située au cœur d’un village. Ce fût le début des communautés de l’Arche.

Les personnes avec un handicap sont parmi les peuples les plus exclus du monde. Dans nos sociétés occidentales, elles sont considérées comme inutiles en terme de rentabilité économique. Ailleurs, elles sont vues comme habitées par de mauvais esprits, comme des fous dont on s’écarte ou qu’on ignore. La souffrance des parents est immense : la naissance d’un enfant avec un handicap est ressentie comme un échec, parfois comme un châtiment. Combien sont éliminés… Ceux qui décident de les accueillir ont aujourd’hui l’impression que la société les rend coupables de lui imposer ce fardeau.

A partir de la première maison ouverte en France par Jean Vanier en 1964, des communautés de l’Arche sont nées dans 30 pays. Ce développement à pu s’effectuer parce que des personnes, notamment des jeunes, sont attirés par une expérience de vie avec la personne handicapée. Il y a aujourd’hui dans le monde 120 communautés qui comprennent chacune plusieurs lieux de vie et de travail. Les lieux de vie sont des petites maisons ou des appartements où les personnes handicapées et ceux qui choisissent de venir vivre avec elles mènent une vie simple de style familial, une vie faite de partage quotidien où l’on privilégie la présence et la relation, une vie ouverte sur l’extérieur avec une intégration dans les villages et dans les quartiers.

Si les personnes ayant un handicap ont besoin d’être aidées, elles ont surtout besoin d’être accueillies, et accueillies telles quelles sont. L’Arche commence par un certain regard sur celui qui est différent, sur ceux qui portent en eux des limites. Avant de voir le handicap, elle voit la personne, avec son don propre, sa capacité d’aimer et d’être aimée. La personne humaine ne se réduit pas à sa souffrance, à son handicap.

En commençant à vivre avec Raphaël et Philippe, Jean Vanier a découvert jour après jour que ce dont ils avaient le plus besoin, c’est de faire partie d’une communauté. Non pas d’une communauté de personnes qui se mettraient à leur service, mais d’une communauté d’appartenance. A l’Arche, on ne donne pas à manger, on mange ensemble ; on ne donne pas du travail, on travaille ensemble, on ne prie pas pour les personnes handicapées, on prie avec elles. Une communauté qui ne soit pas pour elles mais avec elles, une communauté qui les révèle et les promeuve comme personnes à part entière, et qui constitue un milieu dans lequel elles pourront panser leurs blessures et exercer leurs dons. L’Arche n’est pas née d’une philosophie. Les contours et les caractéristiques de nos communautés se sont dessinés peu à peu, à partir d’une écoute des personnes, une écoute du désir profond de leur cœur qui va au-delà des apparences. Parce qu’elles n’ont rien à prouver, qu’elles n’ont pas les moyens de rentrer en compétition, les personnes handicapées nous aident par leur présence à créer avec elles cet espace favorable à la relation et à la communion.

La communauté permet à chacun d’être lui-même et de pas être seul. Il s’agit de lutter contre la solitude profonde qu’entraîne la souffrance du handicap. Celle de se sentir incompris, de sentir que sa souffrance vous coupe des autres, qu’elle vous isole de ce qui anime et motive la plupart des humains, qu’elle vous enferme dans un monde de non-sens. L’Arche propose une "thérapie du quotidien", prodiguée à travers un mode de relation, à travers un style de vie où le quotidien est célébré, où l’on donne un sens aux actes de la vie de tous les jours, où les joies et les difficultés de la vie sont portées ensemble, mais aussi mis en relation avec celles de l’environnement immédiat et avec les grands défis du monde

Il est essentiel que nos communautés soient des lieux où le cri de la personne puisse être écouté. Devant le scandale de la souffrance, il n’y a pas toujours de réponse, de solution. S’il convient souvent d’être muet, il est essentiel d’être là. A travers une vie partagée, il s’agit d’apporter à l’autre toute une qualité de présence, une présence faite d’attentions, de patience, une présence parfois silencieuse, mais sécurisante. La souffrance est plus facile à porter lorsqu’elle peut être exprimée, entendue, reconnue, lorsqu’elle n’est pas évacuée, qu’elle ne fait pas peur. Nous essayons de faire des communautés de l’Arche un espace où il n’est pas dangereux d’être vulnérable, où la différence n’est pas perçue comme une menace mais comme une richesse. Cela demande beaucoup d’écoute, de dialogue ; cela suppose que l’on accepte de vivre des tensions, que l’on passe par des étapes de réconciliation.

Prendre le temps d’écouter le cri de la souffrance, c’est accepter de marcher dans l’insécurité avec celui qui souffre, même parfois de rester avec lui dans l’impuissance. Cette attitude ne laisse pas indemne celui qui accompagne. S’il est parfois difficile de supporter les personnes avec un handicap, c’est que leurs limites, leurs souffrance renvoient à nos propres limites, à notre propre souffrance. C’est dans la mesure où celui qui accompagne se laisser interpeller, accepte de rentrer lui-même en contact avec sa propre vulnérabilité, avec sa propre souffrance, que la personne blessée va se sentir profondément reconnue et acceptée, va se sentir aimée…non pas en dépit de sa souffrance, mais avec sa souffrance. Bien sûr, on ne peut jamais comprendre la souffrance de l’autre, on ne peut pas vraiment se mettre à sa place. Pourtant cette vulnérabilité partagée entraîne une sorte de connivence, crée une relation d’empathie profonde, une compassion, qui d’une certaine façon aident l’un et l’autre à se réconcilier avec leur souffrance et à l’assumer. La personne

avec un handicap et celui ou celle qui l’accompagne sont conviés à un chemin de libération réciproque. L’Arche est bien fondée sur la souffrance, mais il s’agit d’une souffrance accueillie et portée ensemble

Lorsque l’on accepte de se laisser entraîner à cette expérience de vulnérabilité partagée, on touche à la fois des forces de mort, mais aussi des forces de vie insoupçonnées. A travers ses manques et ses limites, dans son dénuement, nous découvrons dans la personne avec un handicap, une vie intense, qui est d’autant plus authentique, d’autant plus précieuse, qu’elle n’est pas fabriquée, qu’elle n’a rien de factice - la personne handicapée n’en a pas les moyens - une vie dépouillée de tout calcul, de tout artifice. Dans sa souffrance, son dénuement, la personne handicapée nous conduit à ce qui fait l’essentiel de la vie humaine, elle nous aide à goûter à la vraie vie. Cette expérience de pauvreté nous ramène à ce qui fait notre humanité commune. Elle transcende les cultures et les religions et a une dimension universelle. Née en France dans un contexte catholique, l’Arche rassemble des personnes d’origines, de cultures et de croyances très différentes.

Cette expérience profonde est au cœur de l’Arche. En termes chrétiens, on peut la qualifier d’expérience pascale. Pour beaucoup de jeunes qui viennent nous rejoindre dans un but humanitaire, cela constitue une sorte "d’école de vie". C’est parce qu’ils sont portés par une communauté, qu’ils peuvent s’approcher de la souffrance de la personne handicapée, s’engager auprès d’elle, avec elle, sur ce chemin de vérité, qu’ils peuvent découvrir que la personne, dans sa fragilité, n’est pas seulement un problème à résoudre, mais un mystère à accueillir. Cette expérience, parce qu’elle est authentique, les amène à s’interroger sur la vie, sur le mystère de la personne humaine, sur sa dimension spirituelle. Souvent, elle les transforme. Certains venus pour vivre à l’Arche un temps d’expérience, vont y découvrir leur vocation et s’engager à long terme dans nos communautés.

Pour que la communauté soit ce milieu favorable, nous avons besoin des ressources des sciences humaines et de la psychologie. Elles nous aident à comprendre les comportements, à démasquer les faux-semblants ou à éviter les dérives dans cet univers relationnel qu’est la communauté. L’attitude professionnelle face à la souffrance ne vient pas faire obstacle à l’attitude de compassion, mais elle vient la libérer et la renforcer. Alors que le monde est sélectif, l’expérience de l’Arche nous a amené à élaborer une anthropologie où la personne humaine est embrassée dans sa totalité, dans sa dimension psychologique et dans sa dimension spirituelle, dans ses manques comme dans ses forces de vie, dans sa capacité de faire et dans sa capacité d’être.

L’Arche ne cherche pas seulement à atténuer les effets du handicap, mais essaye d’agir sur les racines de la souffrance, en aidant la personne handicapée à redresser l’image très négative qu’elle a d’elle-même, à retrouver sa dignité, en lui permettant d’exercer ses dons d’accueil, d’émerveillement, de sensibilité à l’autre, en lui proposant d’être ferment d’unité dans la communauté, de vivre une fécondité et de s’ouvrir vers l’extérieur. Née dans la deuxième partie du 20ème siècle, l’Arche témoigne de la valeur de toute personne humaine, quelque soit sa capacité de créer, d’agir et de penser. Elle renouvelle les modalités traditionnelles de la charité, en mettant la personne souffrante au centre de la communauté, en alliant engagement et professionnalisme, en portant une dimension universelle. Elle ne supprime pas la souffrance, le handicap, elle aide à les assumer. Ce qui était cause d’enfermement sur soi, devient un instrument de liens, et de fécondité. Fondée sur la fragilité et sur l’engagement personnel, l’Arche reste forcément fragile et subsiste grâce à la foi.

Alain Saint-Macary

La douleur : enigme ou mystère
par le Docteur Xavier Mirabel,
Chef de Département adjoint au Centre de lutte contre le cancer de Lille,
Enseignant en soins palliatifs à l’Université de Lille

Comme ceux des énigmes antiques, il nous faut déjouer les pièges de la douleur. Aujourd’hui, la technique nous y aide. Magnifiquement. Encore faut-il que cette technique soit diffusée. Car il faut encore se battre pour que la lutte contre la douleur continue de progresser et surtout se répande en pratique, dans le monde entier. La lutte antidouleur est donc une des plus belles exigences de notre temps. C’est un des moyens les plus certains d’humaniser davantage nos sociétés. L’homme n’est pas fait pour « souffrir comme une bête ». Pour souffrir seul et sans soutien. La lutte contre la douleur est donc un des critères essentiels de la qualité des relations humaines. Une condition même de ces relations que la douleur entrave. Mais la technique ne suffit pas à prendre en compte cette exigence : la douleur est d’abord un appel qui doit être entendu et traité ; la douleur, plus en profondeur, est une expression particulière de l’être, de tout être et de son mystère. Au cœur de ce mystère, une blessure intime, personnelle, indicible ne semble pas susceptible d’être éradiquée. Et pourtant elle demande la présence. Il n’est pas toujours facile de constater cette réalité sans la fuir. Aussi, le tout technique pousse aux pires excès ; c’est l’utopie d’un monde libéré de toute souffrance où se côtoient les deux faces d’une médaille prométhéenne : le recours aux soins déraisonnables et la tentation de l’euthanasie. Seul finalement l’accueil de nos limites pourra nous aider à affronter l’énigme sans renoncer à la résoudre, à apprivoiser le mystère sans prétendre le domestiquer.

Les enjeux de la lutte contre la douleur ont considérablement évolué ces dernières années. Les progrès dans les traitements antalgiques ont été tels qu’ils semblent permettre de « contrôler » toute douleur. Les amputations sans autre « analgésique » qu’un chiffon entre les dents que nous racontent certains récits de guerre des temps pourtant « modernes » nous
paraissent préhistoriques… Mais parallèlement, les progrès techniques de la médecine ont paradoxalement permis de conduire des malades dans des situations de faiblesse de plus en plus avancée, ils ont ainsi probablement créé de nouvelles situations douloureuses. Pas plus que la mort n’a disparu avec l’allongement de l’espérance de vie – reconnaissons même que sa « gestion » est devenue plus complexe – , la douleur n’a pas disparu et n’est pas en passe de disparaître. Jamais sa prise en compte n’a même été aussi centrale dans la problématique des soins. C’est qu’elle fait aujourd’hui figure de scandale. Aussi la lutte contre la douleur est devenue une priorité.
Une stratégie de lutte de plus en plus perfectionnée voire subtile

Le public (et parfois même les équipes médicales) ne sont pas toujours conscients des considérables progrès des techniques de lutte contre la douleur. Nous disposons depuis de nombreuses années d’antalgiques de plus en plus performants : acide acétylsalicylique, paracétamol seul ou associé au dextropropoxyfène ou à la codéine, anti-inflammatoires non stéroïdiens, morphine (utilisée depuis l’antiquité), ainsi que de multiples co-analgésiques comme certains antidépresseurs ou anti-épileptiques. Grâce au développement rapide des techniques, particulièrement de la pharmacologie, nous avons continué à progresser rapidement. Depuis une dizaine d’année, le sirop de morphine ou la potion de St Christopher ont perdu leur place au profit de la morphine à libération prolongée, de la morphine à libération immédiate, des timbres et des sucettes au fentanyl. Nous avons appris à mieux administrer la morphine, en particulier grâce à l’administration contrôlée par le malade (PCA), particulièrement utile pour les douleurs post-opératoires ou pour la titration
de la morphine dans les grands syndromes douloureux. Le malade s’administre lui-même les doses de morphine dont il a besoin pour calmer sa douleur, il est ainsi assuré de l’effet antalgique, rassuré, responsabilisé, respecté, il n’a pas besoin de faire appel à d’autres pour obtenir un soulagement. On peut, grâce à la neurochirurgie, délivrer directement la morphine au niveau de la moelle épinière, et soulager ainsi des douleurs particulièrement intenses. Dans les situations de douleurs extrêmes, la sédation peut être utilisée, sous certaines réserves éthiques, avec le consentement du malade, en ménageant des plages de réveil.

Non seulement, les analgésiques sont nécessaires pour répondre à la situation de douleur, mais encore ils servent à en prévenir la survenue : la douleur peut et doit être anticipée. C’est d’ailleurs un des objectifs de l’anesthésie. Mais la douleur peut aussi être anticipée et traitée préventivement avant tout geste diagnostique ou thérapeutique douloureux qui peuvent être réalisés sous traitement antalgique, après anesthésie cutanée, sous meopa etc…

Face à la diversification et aux progrès des techniques antidouleur et sans doute à la plus grande sensibilité des équipes à son traitement, des consultations de la douleur ont été développées et sont maintenant facilement accessibles. Elles permettent ainsi aux malades de bénéficier des progrès techniques les plus récents et de compétences médicales et paramédicales pour la prise en charge de leur douleur. La prévention de la douleur passe aussi par le développement de techniques chirurgicales moins invasives, le développement d’alternatives médicales à la chirurgie, l’utilisation de stratégies médicales moins agressives, un meilleur contrôle des effets secondaires des traitements. Un des progrès fondamentaux dans le traitement de la douleur est passé par la reconnaissance et la prise en compte de la douleur de l’enfant, du nouveau-né, du fœtus et de tous les malades qui ne sont pas capables d’exprimer une sensation douloureuse. Ainsi, pour certains enfants handicapés et pour des personnes atteintes de maladie d’Alzheimer qui ne sont pas capables de s’exprimer verbalement, les postures de réaction à la douleur sont analysées comme des symptômes non verbaux. Le souvenir de la douleur peut même être renvoyé dans l’oubli, grâce à certains produits qui entraînent une amnésie. En provoquant cette amnésie, nous pouvons « gommer » de la conscience cette expérience traumatisante. Nous constatons cependant que l’expérience douloureuse laisse parfois des traces dans l’inconscient, que certains événements douloureux oubliés depuis longtemps peuvent être à la source de nos blessures les plus secrètes et les plus profondes. Tout l’artifice à notre disposition pour « oublier » est à envisager avec prudence… Plutôt que de faire oublier sa douleur a posteriori, il vaut mieux ne pas la ressentir a priori ou, en tout cas, la soulager le mieux possible, la « contrôler ».

Essentiellement regardée comme un « mal », la douleur est à juste titre combattue. Il ne faut cependant pas occulter le fait que la douleur soit aussi, voire d’abord, un signal d’alarme utile et même indispensable. D’où la nécessité de la combattre avec mesure. Un médecin pourra dire « revenez-me voir si vous avez mal ». Une femme qui accouche sous péridurale pourra préférer conserver une sensation atténuée de ce qui se passe pour maîtriser le processus d’expulsion et vivre son accouchement plutôt que de le subir. Les personnes qui sont partiellement dépourvues de sensibilité doivent exercer une vigilance importante parce qu’elles sont privées du signal d’alarme précieux que constitue la douleur ; par exemple certains paraplégiques ont pu subir de graves brûlures voire des fractures sans s’en rendre compte, avec des risques de complications graves.

On tente de plus en plus d’évaluer objectivement la douleur grâce à des outils simples comme l’échelle visuelle analogique ou plus élaborés adaptés à des situations complexes y compris pour les nouveau-nés ou des personnes souffrant de démence. La réponse de la douleur aux traitements doit, elle aussi, bénéficier d’une évaluation qui permettra de s’assurer de l’efficacité des thérapeutiques proposées et qui permettra, lorsque plusieurs soignants interviennent dans sa prise en charge, comme c’est le cas dans le contexte hospitalier, de partager l’information et d’adapter éventuellement le traitement selon des procédures écrites. L’objectivité de ces informations reste relative puisqu’on s’accorde de plus en plus à reconnaître que la façon de ressentir la douleur est propre à chaque individu.

Nous disposons donc de moyens qui devraient permettre de soulager la grande majorité des douleurs. Mais la situation est parfois plus complexe, comme par exemple en soins palliatifs car il s’agit alors de soulager la douleur mais aussi les différents symptômes de la fin de vie comme les nausées et vomissements, la diarrhée, la constipation, la sécheresse buccale, la sensation de soif, la dysphagie, l’asthénie, l’anorexie, la dyspnée, la toux, la confusion, l’anxiété … tous ces symptômes constituant une forme d’expérience pénible que l’on peut qualifier de douloureuse et nécessitent une prise en charge globale.

L’enjeu est alors de favoriser le mieux-être, le meilleur bien-être possible, sans priver la personne sa conscience, pour qu’elle vive personnellement ses moments importants de sa vie.

L’urgence des progrès à faire pour généraliser la lutte anti-douleur

Malgré tous ces efforts - et toute cette compétence acquise -, la douleur reste encore insuffisamment soulagée. Ce constat ne se limite pas aux habitants des pays pauvres dont il faut cependant noter l’injustice de la condition dans ce domaine : la lutte contre la douleur reste encore trop souvent l’apanage des riches. En occident également, les récits d’hospitalisés fourmillent encore d’exemples de déni de la douleur et d’omission de soins anti-douleur qui nous scandalisent. D’autant que ces douleurs-là étaient évitables et inutiles. Nous connaissons nombre des ces obstacles au soulagement de la douleur qui tiennent, notamment, à l’attitude du malade lui-même ou à celle du médecin.

Parmi ces facteurs liés au malade, on peut citer : les réticences à formuler la douleur, par pudeur, par éducation, par crainte de gêner ; les réticences à accepter le traitement de la douleur qui est proposé, par peur des morphiniques ou des médicaments similaires, en raison de la peur de la dépendance, d’une peur de l’épuisement de l’effet du traitement qui hypothéquerait le soulagement d’une douleur plus intense ; par peur des effets secondaires du traitement de la douleur, des nausées et vomissements, de la constipation qui sont des effets indésirables fréquents, par peur d’une perturbation psychique.

Du côté du médecin, on peut aussi identifier de nombreux facteurs qui peuvent expliquer, s’ils ne peuvent sans doute pas excuser, un soulagement insuffisant de la douleur. Parmi ceux-ci, outre le désintérêt manifeste par endurcissement du cœur, le plus inacceptable est sans doute l’incompétence qui résulte le plus souvent d’une formation insuffisante à laquelle il serait sans doute possible de remédier tant l’acquisition de cette compétence semble indispensable. Les programmes de formation des médecins et des paramédicaux ont beaucoup évolué ces dernières années. On peut rappeler qu’il y a peu, dans les facultés de médecine, les soins palliatifs n’étaient pas du tout enseignés et que le traitement de la douleur occupait bien peu d’heures d’enseignement.
Parmi les autres obstacles que rencontre le soignant pour soulager la douleur, on peut évoquer les freins administratifs à la prescription ou à la mise à disposition des morphiniques. Peut-être le médecin est-il freiné par des préjugés à propos des effets secondaires des traitements, par des préjugés qui lui font croire que la personne âgée est moins sensible à la douleur, que le nourrisson ne souffre pas parce qu’il n’exprime pas sa douleur etc. Le médecin est parfois sceptique vis à vis de la plainte douloureuse, doutant de sa réalité, considérant que cette plainte subjective sur laquelle on ne peut pas toujours mettre une explication physiopathologique claire est suspecte d’exagération, voire de manipulation. Mais la raison la plus essentielle, la plus fréquente, celle qui va nous intéresser est sans doute liée à la difficulté qu’a le médecin à entendre l’expression de la douleur.

La douleur non soulagée constitue un traumatisme, une expérience extrêmement humiliante pour le malade. Celui qui réclame le soulagement de sa douleur peut voir dans l’absence de prise en compte de son appel une rupture de la confiance dans la relation médecin-malade.
Entendre la plainte du souffrant comme un appel

Si un malade appelle un médecin pour lui dire sa douleur, ce n’est pas souvent pour lui décrire des symptômes qui seraient la clé d’un syndrome. D’autant plus lorsqu’il s’agit d’une douleur intense, d’une douleur chronique, d’une douleur qu’il a déjà connue. Car il y a derrière cette plainte douloureuse un appel plus profond. Nous vivons l’expérience douloureuse en fonction de nos projections sur la maladie dont nous souffrons, de nos peurs, des expériences que nous-même ou nos proches avons pu vivre, de nos blessures plus ou moins conscientes, plus ou moins anciennes. Derrière l’appel du souffrant, il nous parle du sens : que va devenir ma souffrance ? Va-t-elle augmenter ? Saurez-vous la calmer ? Saurez-vous l’entendre ? Quelle est ma maladie ? Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Vais-je guérir ? Vais-je mourir ?

Alors, puisque ce « j’ai mal » est une façon d’exprimer une souffrance morale et non pas uniquement la douleur physique, ma réponse de technicien risque d’être bien imparfaite et ma prescription d’antalgiques peut même être largement inefficace. Le médecin se trouve confronté à ses limites, lorsque le « j’ai mal » veut surtout signifier « je suis mal ».

Comme le dit Paul Ricoeur « La souffrance ne se borne pas à être, mais à être en excès. Souffrir, c’est toujours souffrir de trop. Le paradoxe dès lors du rapport à autrui est là, mis à nu. D’un côté, c’est moi qui souffre et pas l’autre, nos places sont insubstituables ; de l’autre côté, malgré tout, en dépit de la séparation, la souffrance exhalée dans la plainte est appel à l’autre, demande impossible à combler, peut-être, d’un « souffrir-avec » sans réserve. »

L’expression de la souffrance est donc appel à la compassion. Celui qui me dit sa souffrance me demande de l’entendre. Il me demande d’avoir la force de rester pour l’écouter, non pas la plainte que j’aurais envie d’entendre mais celle qu’il a besoin de me formuler. Non pas la souffrance pour laquelle j’aurais peut-être des réponses mais celle pour laquelle je me crois justement incapable de trouver des mots.

Paradoxalement, plus la douleur physique est calmée, plus un champ large est ouvert pour l’expression de la souffrance. On pourrait même dire que nous n’avons jamais aussi bien soulagé la douleur, mais nous n’avons jamais été autant confrontés au problème de la souffrance. En effet, la douleur agit comme une prison relationnelle : elle conduit souvent au repli sur soi, voire à un véritable « emmurement ». La soulager libère tout un potentiel d’expression d’une blessure intérieure qui ne pouvait se dire et même se concevoir. Voilà pourquoi, un simple geste de tendresse, une caresse (et pas seulement pour le nouveau-né) est un précieux analgésique. La lutte contre la douleur est une forme d’humanisation qui permet à l’homme de se dire plus vulnérable face au mystère de ces propres limites.
L’expérience de la souffrance : une réalité personnelle et inexprimable

Nous avons chacun une expérience absolument personnelle et unique de la douleur qui, à ce titre, rend notre souffrance

proprement indicible. Quelles que soient les grilles d’évaluation à notre disposition, la confrontation à la douleur – dont la palette est aussi riche en couleurs et nuances que celle d’un peintre - restera d’abord une expérience subjective, donc intime et personnelle. Chacun réagit à sa façon au « tableau douloureux » auquel il est personnellement confronté. L’expérience de la douleur va s’inscrire dans notre mémoire et peut nous enfermer dans la peur : peur que la douleur revienne, peur que la douleur ne soit pas soulagée. Il y a d’ailleurs un lien étroit entre douleur et angoisse… Dans les deux sens : ne peut-on pas « ressentir » et « exprimer » ces intenses douleurs, d’origine psychosomatique qui sont une expression de son mal-être intérieur bien plus que de sa physiologie ?

Nous sentons bien intuitivement combien notre souffrance, parce qu’elle n’est pas isolée mais qu’elle se nourrit de notre histoire personnelle et particulièrement de nos blessures, parce qu’elle se construit sur nos peurs, sur nos phantasmes, sur les paroles que d’autres ont pu nous rapporter de leur propre expérience souffrante, est personnelle et unique. Nous pouvons donc appréhender combien notre souffrance est profondément intraduisible à d’autres. D’autant que de multiples influences psychologiques interfèrent avec nos sensations douloureuses.

Une douleur peut en cacher une autre. Le stress majore la douleur, ainsi que la solitude, l’indifférence de l’entourage ou l’absence d’écoute - et pas seulement de la part du médecin. On souffre beaucoup plus quand on se sent seul. La douleur se réveille la nuit, quand il n’y a personne pour l’entendre ni rien pour nous en distraire. Quant à la douleur chronique, elle peut devenir une maladie en elle-même, un langage en soi.

La douleur n’est jamais l’affaire d’un seul individu. Tout l’entourage est concerné, la famille, les amis, à qui on demande d’abord d’écouter et de croire, de ne pas nier la douleur, de ne pas nier la souffrance mais de l’accueillir, quitte à en souffrir aussi.
Il reviendra alors à celui qui veut aider de savoir décrypter ce « j’ai mal ». Il restera souvent inaccessible mais nous pourrons pourtant l’accueillir et parfois le soulager par l’écoute, par notre attitude et notre regard et par des mots de consolation délivrés avec une extrême prudence. Pour cela, il faut admettre que les réponses à apporter aux souffrances humaines ne sont pas simples. Les seules réponses qui vaillent nous engagent à plus de solidarité, à une implication personnelle pour accompagner nos proches ou ceux qui se retrouvent au bord de notre chemin et qui nous sont confiés.
La plainte du souffrant nous fait mal

Pour éviter d’entendre la plainte de la personne souffrante, nous avons une grande facilité à nier l’existence de la souffrance et à considérer le souffrant comme une personnalité psychologiquement fragile, voire à le croire manipulateur. Pourtant, même s’il en rajoute parfois un peu, le malade vient avec une plainte réelle, qu’il faut toujours prendre au sérieux. Il s’agit avant tout de le croire. Toute plainte douloureuse doit être prise en considération. Toute plainte douloureuse est « vraie » aux yeux du souffrant, même si le soignant peut parfois douter de l’intensité de la douleur ou même de sa réalité organique. Le soignant doit donc toujours entendre la plainte comme authentique.

Si nous acceptons de croire dans cette plainte formulée par la personne souffrante, alors nous sommes tentés par la fuite. La souffrance de l’autre nous fait mal. Déjà, l’expression d’une douleur modérée et de courte durée réveille chez celui à qui elle est exprimée le besoin d’aider, de compatir. Mais cette première réaction est souvent contre-balancée par un mouvement de recul : en quoi cela m’engage-t-il d’entendre et de répondre à cette douleur ?

Prendre conscience de notre vulnérabilité face à la souffrance d’autrui est à mon avis un « passage obligé » pour toute démarche de soins authentique. Authentique au sens
où ce n’est pas un blindage artificiel qui peut régler la question de notre implication auprès de ceux qui nous provoquent par leur plainte…

La rencontre de nombreuses personnes souffrant d’un handicap m’a fait prendre conscience combien nous pouvions avoir peur de l’autre lorsqu’il est souffrant. Cette peur était une première réaction naturelle et fréquente. Mais au fond, est-ce uniquement le handicap qui nous fait si peur ? Notre réflexe de fuite est motivé par des inquiétudes multiples : comment affronter la souffrance de la personne handicapée, comment répondre à sa colère, à sa révolte qui pourrait même être dirigée contre nous si nous osions l’aborder ? Comment lui parler sans la blesser ? D’ailleurs puis-je lui parler, va-t-elle m’entendre, me comprendre ? Quel sens peut avoir sa souffrance, comment répondre si elle me posait cette question ? Si je lie contact avec elle, que pourrait-elle me demander, à quoi cela m’engage-t-il ? La personne handicapée ne risque-t-elle pas de devenir une charge trop lourde pour moi ?

Beaucoup d’entre nous avons fait cette expérience troublante de côtoyer une personne souffrante et de rester totalement aveugle et sourd à cette souffrance. Nous savons bien alors combien notre fuite semi-consciente correspond à une nécessité que nous ressentons de nous protéger. Confrontés à l’appel du souffrant, nous sommes en difficulté car la réponse qu’il attend de nous n’est pas uniquement technique mais elle met en jeu nos capacités de solidarité. Alors, lorsque nous n’avons pas la force d’apporter une réponse à la hauteur de la demande, nous sommes tentés de nous protéger de cet appel, soit en refusant d’entendre la plainte, soit en prenant tous les moyens pour la faire taire. Face au cri du souffrant, il arrive que des institutions s’organisent dans la fuite. Nombre d’expériences mal vécues de soignants, souffrant de leur impuissance devant la douleur d’un patient, sont générées par l’incapacité collective du système à entendre la plainte et à y répondre. Quant la fuite est ainsi érigée en système, l’aveuglement collectif et les responsabilités partagées, il est difficile pour un soignant seul de réagir.
Le revers de la médaille : l’utopie d’un monde sans souffrance

On dit que notre seuil de tolérance à la douleur s’abaisse. Il faut bien sur se réjouir de cette moindre tolérance en la lisant comme une réaction naturelle à la meilleure prise en charge de la souffrance, à l’efficacité des moyens techniques dont nous disposons pour y répondre, mais surtout à une vision plus aiguë de la blessure que peut causer la douleur à l’humanité.

Mais apparaît là un danger : c’est le revers de la médaille. Nous entrons dans l’utopie que la souffrance peut et doit être supprimée grâce aux progrès de la technique. Nous sommes en train d’évoluer d’une situation ou la douleur, comme scandale, doit être combattue avec toutes les armes disponibles et doit faire l’objet d’une recherche médicale intensive, vers une situation où nous ne sommes plus capables d’accepter que la souffrance puisse encore exister, vers une utopie qui nous ferait croire que la souffrance peut être supprimée par la technique. Or, si nous nous laissons fasciner par cette utopie – utopie car il n’est pas d’humanité vaccinée contre la souffrance – , alors nous abandonnerons notre capacité à nous engager solidairement aux côtés de celui qui souffre.

Notre société, en nous apportant plus de confort, moins de risques, un grand bien-être matériel, nous fait croire que nous pourrions éviter l’expérience de la souffrance. Un certain discours triomphaliste de la médecine entretient cette utopie que toute souffrance pourrait être supprimée, que l’expression de la douleur appartient au passé. Depuis quelques années, nous avons été inondés de chartes, recommandations, circulaires, décrets, plans pluriannuels … sous-tendus par une irréaliste option « zéro douleur ». La médiatisation des progrès dans la lutte contre la douleur a donné aux malades des espoirs irréalistes. Les médecins eux-mêmes sont contaminés par cette conviction que nous pouvons et, partant que nous devons soulager complètement toute douleur. La tendance à la valorisation des droits des patients associée à un discours récusant toute possibilité de douleurs est parfois source de graves incompréhensions. En faisant croire aux malades qu’il est possible de supprimer toute douleur, on fait alors porter la responsabilité de la douleur aux soignants en risquant d’enfermer le malade dans la récrimination qui le conduit au nomadisme médical.

Dans nos sociétés occidentales sur-médicalisées, le « tout analgésique » a des effets pervers : quand le moindre mal de tête commençant se voit réglé par l’administration d’un comprimé, quand tant de mal-être entraînent la consommation de psychotropes divers (médicaments, alcool, tabac, drogue… ). Entre l’abandon de la personne à sa douleur et le soulagement immédiat de celle-ci, il y aurait peut être à rechercher un équilibre. Sinon, les enfants d’aujourd’hui n’auront peut-être pas été préparés au dépassement de soi, ce « goût de l’effort » qui n’est pas accompli sans « se faire mal ». Nulle proposition masochiste dans un tel constat… Mais l’ultra sensibilité à la douleur, par abaissement de nos seuils de tolérance, ne règle pas toute la question de la douleur : elle la situe simplement sur une autre échelle. En comparaison avec ce que nous vivons, comment regarder le « courage » de certains habitants des pays pauvres, capables de faire des dizaines de kilomètres, malgré de graves blessures alors que le moindre bobo nous cloue au lit ? Et que dire quand ce courage se transpose à la façon de vivre et de travailler des même personnes lorsque la pauvreté les a fait émigrer vers nos pays ? L’attitude face à la douleur devient une composante du choc culturel. Et, dans ce domaine, il nous est parfois difficile d’accepter la confrontation à la différence.

Pour revenir à l’occident, et à l’abaissement de son seuil de tolérance, que se passe-t-il quand l’idée d’un « seuil zéro » a fait irruption dans l’inconscient collectif ? On nous dit « avoir mal, ça n’est pas normal » ou « vous ne pouvez pas le laisser souffrir comme ça ». Alors, le soignant pourrait bien être prêt à tout faire pour faire taire la plainte.
Une tentation : faire taire à tout prix la plainte

Face à la plainte douloureuse, le médecin est tenté par une réponse technique. Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’examen clinique et les examens complémentaires permettent d’en identifier avec précision la cause. Le médecin peut alors se laisser convaincre qu’il sait déjà tout de la maladie avant même d’avoir interrogé le malade. La réponse technique apparaît alors souvent comme évidente.

La première modalité d’une médecine exclusivement technique, c’est l’abus de soins, les soins « disproportionnés ». Si toute expression douloureuse ne doit être entendue qu’au premier degré comme symptôme d’un mal exclusivement organique, alors toutes les investigations diagnostiques et toutes les thérapeutiques antalgiques sont justifiées. D’autant que la demande insistante de soulagement crée chez le soignant une intense détresse et une tentation de rejet qui peut le conduire à adopter des thérapeutiques disproportionnées et potentiellement iatrogènes dans l’espoir de faire taire à tout prix l’expression de douleur.

Particulièrement si le malade exprime sous la forme d’une plainte douloureuse (ou perçue comme telle par le soignant) une détresse morale voire une détresse spirituelle. Le soignant qui n’est pas forcément armé pour faire face à de telles demandes sera souvent tenté de faire taire l’expression de la détresse par les antalgiques. Il en sera d’autant plus tenté qu’il dispose par ailleurs d’outils extrêmement efficaces pour faire taire la souffrance. Dans ces situations, on peut voir des malades recevoir des médications psychotropes très lourdes, des morphiniques à des doses largement supérieures à ce qui serait utile pour calmer leur douleur. Souvent, lorsqu’une plainte douloureuse persiste, soignants et famille seront tentés par la sédation qui est alors utilisée, non pas pour calmer des douleurs particulièrement insupportables, mais qui est prescrite comme le moyen le plus sûr pour obtenir le silence. La sédation est là employée par les proches du malade pour se protéger du malade.

La seconde tentation d’une médecine exagérément technique, c’est paradoxalement l’euthanasie comme issue de l’échec thérapeutique. Pour le médecin obnubilé par la technique et par son résultat, à quoi bon soigner encore lorsqu’il sait que la maladie va gagner ? Et l’expression de la douleur peut être alors le prétexte, le fait déclencheur du passage à l’acte. Pourtant, les moyens techniques existent désormais pour supprimer ou au moins limiter la plupart de nos souffrances physiques. Il ne semble pas acceptable qu’une douleur soit aussi intense et mal calmée qu’elle en vienne à justifier une demande de mort. Si cette situation devait survenir, il serait alors sans doute opportun et urgent de changer de médecin ! D’ailleurs, la douleur physique n’est pas la raison pour laquelle le malade, dans certaines situations exceptionnelles, demande la mort. Le motif profond est toujours lié à une souffrance morale intense.

Nous avons vu combien le soignant peut être désarmé et se sentir en difficulté face à la souffrance morale exprimée par le malade. Alors, la tentation peut devenir forte si cette souffrance est exprimée trop fortement et qu’il faut tout faire pour la faire taire, d’obtenir la disparition de la plainte par la disparition du malade. L’euthanasie peut alors apparaître aux yeux de certains comme un acte nécessaire pour obtenir le soulagement que n’obtiennent pas les antalgiques. Refuser de saisir dans l’expression de la douleur la profondeur de l’appel humain qui s’y cache conduit tous les protagonistes (malade, soignants et famille) vers la tentation euthanasique.

Pourtant, la réponse à la souffrance n’est pas la suppression du souffrant. Lorsqu’on entend dire que certaines vies ne valent pas la peine d’être vécues, comprenons que l’on dénonce alors celui qui souffre au lieu de lutter contre la souffrance.
La souffrance : facteur de lien ou d’isolement ?

Le soulagement de la douleur est un des actes les plus significatifs de la compassion. C’est le type-même de l’acte de reconnaissance et de respect de l’altérité. À la personne qui a mal, à celle que la douleur met dans une détresse profonde, à celle qui fait par la douleur l’expérience d’une solitude terrifiante, à celle qui vit la crainte d’être abandonnée à son mal, nous affirmons, par le soulagement, notre humanité et surtout la leur. Notre devoir social est d’être « ensemble contre leur douleur ». Le soulagement de la douleur n’est pas seulement une responsabilité du témoin de la douleur d’autrui. Il est aussi un acte social, un acte profondément moral, un message éthique de la part du système soignant : celui de la solidarité humaine, celui du refus de la violence que constituerait la complicité avec une douleur qui pourrait être soulagée. Le refus de traiter la douleur constitue littéralement une « maltraitance ».

En luttant contre ce que la douleur a de plus agressif et de plus bouleversant, le médecin restitue l’homme à lui-même en lui rendant plus humaine l’expérience de la souffrance.

Mais l’appel que nous lance l’autre dans sa plainte douloureuse est aussi un appel à la compassion, un appel à un « souffrir avec ». Cette demande qui nous est faite nous dépasse toujours car nous savons que, quelle que soit l’intensité de notre compassion, la profondeur de l’homme qui se présente face à nous est telle que nous n’aurons jamais la capacité de l’appréhender en totalité.

C’est par l’écoute attentive de la plainte que les liens peu à peu pourront se faire. Alors, le patient viendra à s’interroger sur ce que la douleur traduit de sa souffrance. La plainte douloureuse permet d’inscrire la souffrance dans le langage, de nommer l’inexprimable, l’insupportable. Elle apaise l’angoisse. Il ne faut donc pas absolument chercher à faire taire la plainte. Il faut l’accepter, l’accompagner. L’écoute attentive devra entendre, au-delà du discours conscient, les non-dits, saisir le mot, la mimique, le geste qui soudain donne au discours une autre dimension. Là se pose la question de la tolérance du soignant, sa capacité à entendre la plainte.

Nous savons bien que nos réponses passent par l’écoute profonde. On en parle beaucoup, mais c’est autre chose que de le vivre ! L’écoute n’est pas si facile à pratiquer dans la réalité de l’exercice des soins. L’écoute s’apprend et prend du temps ; elle n’est pas nécessairement enseignée dans les cursus de formation médicale ou para-médicale. Le soignant peut progresser dans sa pratique de l’écoute, il peut sans cesse approfondir sa capacité d’écoute et, partant, sa profondeur d’écoute.

Pourtant, la douleur restera indiscutablement un mystère. Et même si nous sommes de plus en plus capables de déjouer certaines de ses énigmes, l’appel de ce mystère ne nous paraît que plus grand. A cet appel, qui jaillit de la profondeur de l’homme, la réponse technique est nécessaire mais laissera souvent souffrant et soignant profondément insatisfaits. Pour mieux répondre à la souffrance de l’autre et déjà pour être capables de l’entendre, il nous faut d’abord accueillir nos propres souffrances, découvrir combien elles sont uniques et indicibles. Alors, nous pourrons trouver en nous-même la force qui nous permet l’écoute et la compassion. C’est par cette voie qu’à la douleur, qui restera toujours un mystère, nous pourrons porter des réponses humaines.

Amour et souffrance
Réflexion sur deux vies

par le Père Raymond Zambelli, Recteur des Sanctuaires Notre-Dame de Lourdes

Parler de la souffrance des autres est difficile, le mieux est de laisser s’exprimer deux personnes qui l’ont vécue, en soulageant ceux qui souffrent, ou en offrant la leur, pour tous les hommes, suivant en cela le Christ souffrant et mourant sur la Croix.

L’une est la « petite Thérèse » (elle désirait qu’on l’appelle ainsi), la sainte de Lisieux, que la pape Jean-Paul II a proclamée Docteur de l’Eglise le 19 Octobre 1997, dimanche des missions ; l’autre est « Mère Teresa », béatifiée par le même Jean-Paul II, également un dimanche des missions, le 19 Octobre 2003. Nous verrons que cette coïncidence de dates n’est pas le seul point qui les rapproche. La première, Thérèse de Lisieux, entrée au Carmel à 15 ans où elle est morte à l’âge de 24 ans, l’autre ayant consacré sa vie aux « plus pauvres parmi les pauvres », parcourant le monde pour y faire des fondations ; car les pauvres sont partout, la souffrance est universelle et n’est pas le privilège de Calcutta.

Ma première notion de ce rapport entre la petite Thérèse et Mère Teresa, m’est venue étant encore chapelain à Lisieux. Je revois Mère Teresa, petite et décidée, parfaitement reconnaissable dans cet habit si caractéristique qu’elle a fait connaître dans le monde entier, se dirigeant d’un pas rapide vers la chapelle du Carmel de Lisieux pour prier la Sainte des Missions et des Missionnaires. C’était en 1988.

Mère Teresa, qui s’appelait Agnès avant de prendre en religion le nom de la petite Thérèse, a pu dire : « Je l’ai choisie en homonyme parce qu’elle faisait des choses ordinaires avec un amour extraordinaire », et notamment l’attention et les soins donnés à ceux qui souffrent. Plus profondément, est ancrée chez les deux Thérèse, celle de Lisieux et celle de Calcutta, cette certitude que le mystère de la souffrance est d’être liée à l’amour.
Comment est née et comment s’est développée, chez ces deux femmes cette pensée essentielle ?
La petite Thérèse, sensible et d’intelligence précoce, fragilisée par la mort de sa mère survenue quand elle avait quatre ans, malade du départ pour le Carmel de sa sœur Pauline qui était pour elle une seconde maman, voit son père déconsidéré dans la ville de Lisieux par son internement au Bon Sauveur de Caen qui était alors un asile pour les malades mentaux. De surcroît, la rumeur publique en rejetait la responsabilité sur ses filles, dont trois étaient déjà entrées au Carmel, et qu’il ne reverra plus que derrière les grilles du parloir pendant de courts instants.

C’est cette souffrance à la limite du tolérable, qui fait comprendre à la petite Thérèse quel amour il a fallu au Christ, pour accepter d’être ce Jésus voilé de la Passion, qui échoue, qui est méprisé, torturé et tué, afin que de là vienne le salut pour tous les hommes. Elle comprend désormais qu’offrir ses souffrances peut servir et, comme elle l’écrit à sa sœur Céline : « Peu consentent à tenir compagnie à Jésus souffrant au jardin de l’agonie. Qui donc voudra servir Jésus pour Lui-même ? Ce sera nous ! » (Lettre 165 – 7 Juillet 1894)

Quant à Mère Teresa, c’est dans sa compassion pour les plus démunis et les mourants couverts de fourmis, qu’elle découvre Dieu. Elle dira à ses sœurs qu’il faut « trouver Dieu uniquement à travers l’amour, uniquement à travers la compassion. »

Il convient donc de distinguer dans un premier temps l’amour que l’on éprouve pour celui qui, devant vous, souffre et que l’on désire soulager, de l’amour qui nous conduit à offrir nos propres souffrances pour l’humanité entière.

Aucune des deux Thérèse ne pose, philosophiquement ou théologiquement, la question de l’origine de la souffrance ; mais l’évidence universelle que les hommes souffrent est un fait qui déclenche leur amour.

Mère Teresa dit de ceux qu’elle ramasse dans les rues : « Nous voulons qu’ils se sentent désirables […] qu’ils voient qu’ils ne sont pas oubliés, qu’ils sont aimés, qu’ils comptent. C’est de nos mains que les pauvres ont besoin pour être servis, c’est de nos cœurs qu’ils ont besoin pour être aimés. »

Et aimés dans le détail, dans les choses « ordinaires », concrètes, qui manifestent l’ « amour extraordinaire » que nous leur portons.

Ecoutons à ce propos Thérèse de Lisieux, attentive aux sœurs âgées et infirmes dans son Carmel : « Je savais qu’il n’était pas facile de contenter cette pauvre sœur Saint-Pierre, qui souffrait tant qu’elle n’aimait pas à changer de conductrice […]. Chaque soir, quand je voyais sœur Saint-Pierre secouer son sablier, je savais que cela voulait dire : partons. […] Il fallait remuer et porter le banc d’une certaine manière, surtout ne pas se presser ; ensuite, la promenade avait lieu. Il s’agissait de suivre la pauvre infirme en la soutenant par sa ceinture ; je le faisais avec la plus grande douceur qu’il m’était possible ; mais si, par malheur, elle faisait un faux pas, aussitôt il lui semblait que je la tenais mal et qu’elle allait tomber : « Ah ! mon Dieu, vous allez trop vite, j’vais m’briser ! ». Si j’essayais d’aller encore plus doucement : « Mais suivez-moi donc ! je n’sens plus vot’main, vous m’avez lâchée, j’vais tomber ! » Enfin nous arrivions sans accident au réfectoire, là survenait d’autres difficultés. Il s’agissait de faire asseoir sœur Saint Pierre et d’agir adroitement pour ne pas la blesser. Puis j’étais libre de m’en aller. Avec ses pauvres mains estropiées, elle arrangeait son pain dans son godet, comme elle pouvait. Je m’en aperçus bientôt, et, chaque soir, je ne la quittais qu’après lui avoir rendu ce petit service. […] Ce fut par ce moyen que je n’avais pas cherché exprès, que je gagnais tout à fait ses bonnes grâces et surtout (je l’ai su plus tard) parce que, après avoir coupé son pain, je lui faisais, avant de m’en aller, mon plus beau sourire »… (Ms C 29 ro)

Ainsi l’attention, l’intérêt pour les plus petites choses, manifestent l’amour de Thérèse et l’on ne saurait prouver qu’on aime, autrement. On aime dans l’instant car, comme le dit Pascal : « Le présent est le seul temps qui est véritablement à nous et dont nous devons user selon Dieu. » (Lettre aux Roannez. Décembre 1656)

Cet amour, cette compassion, crée une union (fut-elle momentanée), ressentie comme telle, et prenant la place, par la joie réciproque qu’elle apporte, de la douleur un instant oubliée.

Sainte Thérèse de Lisieux est ainsi, même dans sa correspondance, changeant de style avec ses correspondants, par une sorte de mimétisme qui s’opère, ce qui montre l’intérêt qu’elle leur porte, et ce qui rend son propos plus persuasif, plus consolant, plus aimant.

On pourrait objecter qu’on ne répond ainsi qu’à une souffrance et à une seule. Mère Teresa le constate : « Ce que nous faisons n’est rien de plus qu’une goutte d’eau dans l’océan ». Mais cela dois être fait et l’amour d’un instant, gagne sur la souffrance, par une joie réciproque qu’il engendre.

La souffrance personnelle s’augmente, du sentiment que nous éprouvons de notre fragilité et de notre échec ; c’est déjà une mort. Toute souffrance éprouvée se relie à la mort. La mort dont l’agonie augmente chez des êtres conscients de l’angoisse de disparaître. Thérèse de Lisieux éprouve cela : « Il me semble que les ténèbres […] me disent en se moquant de moi : « Tu rêves la lumière, la possession du Créateur, tu crois sortir un jour des brouillards qui t’environnent ! Avance, avance, réjouis-toi de la mort qui te donneras, non ce que tu espères, mais une nuit plus profonde encore, la nuit du néant. » (Ms C 6 vo)

Peut-être convient-il ici d’évoquer la mort des sages anciens et, principalement, celle de Socrate, qui nous est proche par « l’Apologie de Socrate » et par le « Phédon », deux textes qu’écrivit Platon son disciple.

Celui qui, dans Phédon raconte la mort de Socrate s’étonne : « C’est un homme heureux qui se présentait devant moi. » Socrate explique alors à ses amis qui l’entourent : « Il faut tout faire pour, en cette vie, participer à la vertu et à la pensée car la récompense est belle, et grandiose l’espérance ». Et la mort elle-même ne doit pas démentir cette vie consacrée à la vérité. Aussi proclamera-t-il devant les juges qui vont le condamner :» Athéniens, je vous salue bien et je vous aime. Mais j’obéirai au Dieu plutôt qu’à vous jusqu’à mon dernier souffle et tant que j’en serai
capable ne vous attendez pas que je cesse de
philosopher. […] C’est à cela, sachez-le bien en effet que m’invite Dieu. Quant à moi, je ne crois pas qu’il y ait eu dans la cité de bien plus grand que cette soumission de ma part au service du Dieu. »

Et c’est cette fidélité à sa mission, nettement réaffirmée, qui entraînera sa condamnation à mort pas à l’unanimité des juges, d’ailleurs, ce qu’il faut remarquer pour l’honneur d’Athènes.

Ainsi la vie n’est pas le premier bien. La fidélité à sa mission l’emporte sur l’angoisse de la mort. Pour les amis nombreux qui le visitent dans sa prison, cette fidélité à la vérité est un exemple fort, elle contribue à élever l’homme.

Le Christ, dans le jugement dont il est l’objet, comme dans sa mort manifeste encore la continuité, la fidélité à ce qu’il fut, mais plus qu’un exemple, sa mort se veut une offrande de soi, une acceptation libre de la mort qui abolira cette mort. A cet instant, comme le dit la séquence liturgique de la fête de Pâques :

« La Mort et la Vie s’affrontèrent en un duel gigantesque. Le Prince de la Vie mourut. Vivant, il règne. »

« L’énigme de la souffrance » devient donc le « mystère » de la victoire de l’amour sur la mort. D’où cette référence constante à la Croix chez Thérèse de Lisieux comme chez Mère Teresa.

La souffrance de Sainte Thérèse au Carmel, surtout dans ses deux dernières années où, atteinte de tuberculose elle vivra par avance cette mort qui se produira dans une agonie difficile, devient fidélité au Christ en croix et offrande d’elle-même par amour.

Elle le dira, peu avant sa mort :
« Je ne me repends pas de m’être livrée à l’Amour »

Et, sur la fin, qui fut si dure :
« Eh bien allons ! oh ! je ne voudrais pas moins souffrir ! oh ! je l’aime.
Mon Dieu…je…Vous aime ». (Derniers entretiens)

C’est ainsi que, si l’on parle de la souffrance, il faut penser amour, amour actif, volonté de remédier. C’est l’exemple de ces deux femmes.
En conclusion, pour évoquer le titre de ce colloque : « la souffrance, énigme ou mystère », on pourrait dire, en parodiant Corneille dans sa pièce de théâtre Héraclius :

« Énigme si tu veux, mystère si tu l’oses ».

Document(s)

Invitation au colloque du 10 décembre 2003


Intervention du Cardinal Barragán

Intervention de Son Eminence le Cardinal Javier Lozano Barragán, Président du Conseil Pontifical pour la Pastorale des Services de la Santé.