Intervention de Mgr Agostino Cacciavillan, chef de délégation, durant le débat de politique générale

De la croissance aveugle à la vraie liberté : Mgr Agostino Cacciavillan à la 19e session de la Conférence Générale de l’UNESCO

Nairobi, 3 novembre 1976

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Monsieur le Président au nom du Saint-Siège, je présente les vœux les plus chaleureux pour la pleine réussite de la présente session de la Conférence générale qui, pour la première fois dans l’histoire de l’organisation, se tient en terre d’Afrique, dont la nature puissante peut être prise comme symbole des généreuses énergies avec lesquelles ses fils prennent place chaque jour d’avantage, dans la communauté universelle pour collaborer au progrès de l’homme et à l’établissement du véritable esprit de réconciliation et de justice sur lequel se fonde la paix.

Tout à côté de ce printemps africain et universel –visage aussi bien idéal que réel sous lequel on peut regarder le nouvel ordre économique international–, on trouve la merveilleuse réalisation du satellite « Symphonie », significatif exemple de collaboration entre les pays et du service que science et technologie doivent rendre pour le progrès de tous.

Les vœux du Saint-Siège font partie du sincère intérêt toujours porté par lui aux idéaux et aux travaux de l’UNESCO. Le Saint-Siège, en effet, est sensible et attentif aux nombreux aspects pour lesquels l’action de l’UNESCO, dans sa compétence et dans ses réalisations, correspond à la mission que l’Église accomplit en faveur de l’homme et des peuples. Le Saint-Siège voit en cette 19e session de la Conférence générale une raison toute spéciale d’exprimer, au moins sur certains points majeurs, quelle attention il porte à l’action de l’UNESCO et à l’esprit qui l’anime. Cette raison réside dans le vif souci que l’organisation manifeste de mieux fonder son action en l’orientant dans le sens d’une réponse mieux adaptée aux grands problèmes du monde contemporain.

La réponse efficace que l’UNESCO veut donner à ces problèmes est envisagée dans les deux documents convergents que sont le projet de plan à moyen terme pour la période sexennale 1977-1982 et le livre « Le monde en devenir ». De ces grands problèmes, si heureusement posés dans le projet de plan à moyen terme et spécialement dans la remarquable et si pénétrante introduction que lui a donnée le Directeur général, nous voudrions retenir trois aspects qui nous paraissent mériter au plus haut point l’attention, et qui correspondent aux préoccupations du Saint-Siège, ainsi que le montrent plusieurs documents tels que l’Encyclique Populorum progressio du Pape Paul VI, publiée en 1967, et dont nous savons l’accueil très favorable qu’elle a reçu de la part des Nations unies et des ses institutions spécialisées, tout particulièrement l’UNESCO.

Trois points d’attention

Il s’agit d’abord de la mise en question de la course à la croissance, qui menace de conduire à une consommation effrénée, entraînant aussi bien la dégradation de la nature et l’épuisement de ses ressources que le danger de la dégradation de l’homme lui-même. Devant cette croissance qui paraît ne pas savoir où elle conduit, sinon à faire prédominer chez l’homme les satisfactions matérielles, souvent artificiellement créées, au point qu’il en oublie sa destinée spirituelle, il faut se poser la question clairement formulée dans l’introduction du 19 C/4 :

Quelles sont les finalités du développement, quel est l’homme que nous entendons réaliser à travers ce processus ?

En inscrivant le thème de « l’homme en tant que centre du développement » parmi les dix grands problèmes retenus comme base de son action, l’UNESCO va contribuer au redressement qui s’impose si nous voulons empêcher que l’humanité n’aille à sa perte. Un tel redressement implique, de toute évidence, non un arrêt de la croissance, qui est en elle-même une nécessité et un bien pour tous les peuples, mais sa modération qui, acceptée en principe par les pays favorisés, est cependant encore loin de se traduire dans les faits, une harmonisation de sa propre croissance avec celle des autres.

Deuxième question majeure, étroitement liée à la première : les inégalités non seulement économiques, mais aussi sociales et culturelles, qui existent au sein de chaque nation, et, de façon beaucoup plus grave, entre les pays privilégiés et les pays défavorisés. C’est sur celles-ci surtout que nous voudrions porter notre attention. En dépit des efforts généreux pour les réduire, efforts auxquels l’UNESCO, dans ses trente années d’existence, a pris une part notable, nous constatons que ces inégalités continuent et même s’accentuent. C’est pourquoi nous devons nous réjouir de voir cette préoccupation inscrite dans le programme futur de l’UNESCO de façon plus nettement explicite que dans le passé, notamment par la place qui est donnée aux populations rurales, qui demeurent dans le monde celles qui bénéficient le moins du progrès.

Pour que les sacrifices qu’impose cette profonde transformation de l’attitude des pays puissent être compris et acceptés, il faut une puissante motivation, que seule peut nous apporter la reconnaissance de l’unité de l’espèce humaine, de sa « catholicité » au sens grec du terme, de la fraternité vraie et effective qui doit unir tous les hommes. Réalités qui sont le patrimoine commun de toute l’humanité, dont les croyants trouvent le fondement en Dieu, et que les chrétiens perçoivent dans leur foi en le Christ, sauveur de tous les hommes.

La troisième question majeure que nous voudrions évoquer est celle des droits de l’homme. Cette préoccupation est, elle aussi, heureusement retenue comme un des dix grands problèmes du projet de plan à moyen terme. Il nous faut redire le douloureux écart qui subsiste entre tant d’engagements souscrits et la manière dont on s’en acquitte. L’homme a besoin de liberté. Il n’est pas respecté dans sa dignité, dans sa vocation de personne, de maitre-artisan de sa destinée, s’il ne voit pas reconnus les droits qui garantissent sa liberté. De même qu’au sein de la communauté internationale la collaboration ne peut exister sans la liberté de chaque nation, de même à l’intérieur des États, il est difficile d’exiger la collaboration de tous si celle-ci n’est pas librement voulue par les individus dans la liberté.

Certes le problèmes des Droits de l’homme déborde la compétence de l’UNESCO, mais l’organisation a la charge, dans le cadre de ses activités, de la défense et de la promotion des droits à l’éducation, à la culture, à l’information et à la non-discrimination raciale et religieuse. Grâce notamment à l’action de l’UNESCO, des progrès non négligeables ont été réalisés, mais combien d’hommes souffrent encore cruellement, et parfois se voient imposer des conditions de vie humiliantes, parce que ces droits ne sont pas respectés ! Ce sont là autant de violations des droits de l’homme qui portent atteinte à sa dignité dans ce qu’elle a de plus profond et de plus sacré.

Deux conditions

Pour que se traduisent dans les faits les exigences que nous venons de mentionner et qui coïncident avec celles que l’UNESCO, dans son projet de plan à moyen terme, pose comme base de la définition et de l’orientation de son action, il apparaît que ces deux conditions devraient être tout spécialement satisfaites.

D’abord, un effort exceptionnel d’éducation. Nous ne réaliserons un monde qui soit véritable pour l’homme, qui le reconnaisse dans sa plénitude de sa destinée qui est avant tout spirituelle, nous ne définirons un véritable ordre international que si, en chaque individu, se rencontrent des dispositions, des attitudes appropriées –ce à quoi doit contribuer au premier rang l’éducation, à la condition toutefois qu’elle ne soit pas seulement conçue comme un pur enseignement, mais aussi comme une formation sachant faire comprendre et estimer les vraies valeurs et leur juste hiérarchie.

Une deuxième condition de la réalisation des exigences si heureusement inscrites dans le projet de plan à moyen terme est que tout ceux qui, à quelque titre, travaillent dans les institutions qui ont pour mission de contribuer à réaliser ces objectifs, assument pleinement leurs responsabilités dans un esprit de service, mesurant toute la noblesse et l’enjeu des tâches qui leur sont imparties, dégagés de toute ambition de puissance. Cela concerne particulièrement les élites : nous ne pouvons nous empêcher de rendre hommage à leur courage, spécialement dans les pays en voie de développement, car elles ont à faire face à des devoirs certes passionnants, mais combien lourds.

Conclusion

Telles sont, mesdames et messieurs, les réflexions que nous avons cru opportun de présenter à la présente session de la Conférence générale, qui marque aussi la trentième année de l’existence de l’organisation. Elles vous permettent de mieux comprendre combien tiennent à cœur à l’Église et à son chef le Pape Paul VI les tâches qu’accomplit l’UNESCO.

Je vous remercie, Monsieur le Président.