Intervention de Mgr Lorenzo Antonetti, chef de délégation, durant le débat de politique générale

Défis nouveaux pour l’UNESCO : Mgr Lorenzo Antonetti à la 26e session de la Conférence Générale de l’UNESCO

Maison de l’UNESCO, 18 octobre 1991

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Monsieur le Président, permettez-moi de présenter au Président, au nom de la délégation du Saint-Siège, mes plus vives félicitations pour son élection à la présidence de la Conférence générale de l’UNESCO.

Monsieur le Président, Monsieur le Directeur général de l’UNESCO, Excellences, Mesdames, Messieurs, les deux dernières années qui se sont écoulées depuis la dernière session de la Conférence générale ont été marquées par les événements que vous savez. Ils ont profondément modifié l’horizon de la situation mondiale surtout en Europe et au Moyen-Orient. Actuellement, de nombreux et délicats problèmes se posent a nombre de régions du monde quant à leur avenir non seulement politique et économique, mais aussi éthique.

La délégation du Saint-Siège, avant tout, estime de son devoir moral de faire ici mention des graves conséquences du conflit armé qui, depuis quelques mois, dévaste une noble terre d’Europe, la Yougoslavie, et particulièrement la Croatie. Notre pensée va, tout d’abord et spécialement aux nombreuses victimes du conflit. Dans cette enceinte, il nous faut regretter que, malgré les dispositions de la Convention de La Haye qui demande le respect et la protection des biens culturels en cas de conflit armé, de graves dommages aient été causés au patrimoine culturel et historique. Dans plusieurs villes et villages, des monuments internationalement connus et d’autres particulièrement importants pour la vie de la communauté chrétienne ont été détruits ou gravement endommagés. À ce propos, le Saint-Siège désire exprimer ses remerciements au Directeur général pour son récent appel en faveur du respect du patrimoine culturel. Quarante-cinq ans après sa création, l’UNESCO ne peut pas ne pas s’interroger devant toutes ces situations nouvelles et devant leurs perspectives.

Fidélité à l’idéal et à la mission qui lui ont été fixés au sein des Nations Unies, pour une tâche spécifique visant le service de la paix par l’éducation, la culture, la science, et aussi la communication, ouverture et réponse aux problèmes nouveaux qui se posent aujourd’hui, ces deux exigences seraient-elles incompatibles ? Aucunement. C’est en étant encore plus elle-même, en affirmant et en approfondissant sa spécificité, que l’UNESCO sera la plus apte à répondre aux appels, aux besoins du monde d’aujourd’hui dans le champ des tâches qui lui ont été fixées.

Mais, parce qu’elle ne poursuit pas l’action politique qui revient à l’Organisation des Nations Unies, parce qu’elle n’est pas directement concernée par les problèmes qui sont au premier rang de l’actualité, s’agissant de questions qui relèvent de l’Organisation des Nations Unies et de ses autres institutions spécialisées, l’UNESCO ne retient pas l’attention autant qu’elle le mériterait. En une telle conjoncture, la délégation du Saint-Siège tient à souligner l’importance et l’urgence des tâches de l’UNESCO, essentiellement parce qu’elle répond tout particulièrement à l’idéal de la défense des droits de l’homme, de la promotion de l’homme principalement par la culture, et de la paix entre les hommes, que l’Église a toujours partagé. Rappelons tout spécialement le discours du pape Jean-Paul II à l’UNESCO le 2 juin 1980.

Aussi, le Saint-Siège entend-il appuyer plus encore que dans le passé l’action de l’UNESCO. L’idéal qu’elle poursuit est, en dépit des incontestables progrès de ces dernières années, encore loin d’être pleinement atteint, s’agissant des libertés, et particulièrement de la liberté religieuse, à cause de graves déviances et carences. D’un côté, un abus dégradant de la richesse et de ce qui permet le pouvoir de l’argent, chez les plus favorisés ; d’autre part, l’impossibilité, chez les plus démunis, d’atteindre un niveau de vie décent, suffisant, qu’il s’agisse de l’alimentation et de la santé, et des besoins de l’homme dont s’occupe l’UNESCO, en premier lieu l’éducation, de l’alphabétisation jusqu’à l’accès aux savoirs et à l’information, comme le marque si bien l’orientation de la Conférence mondiale de Jomtien sur l’éducation pour tous. On n’a pas encore assez souligné l’enjeu que représente l’éducation pour la promotion de la culture et pour le développement.

La délégation du Saint-Siège voudrait aussi insister sur une perspective d’une extrême actualité et qui doit retenir au plus haut point l’attention de l’UNESCO pour les orientations de son action, à savoir le lien étroit qui peut et doit exister, mais qui ne sera assuré que par une saine volonté des peuples, entre le progrès si notable de la démocratie auquel nous assistons aujourd’hui et le progrès de la culture. Certes l’Église n’a pas à prendre position sur les modalités des systèmes politiques. Néanmoins, au nom de l’idéal chrétien de l’homme et de l’humanité, qui coïncide en tant de points avec l’idéal de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’Église ne saurait admettre des régimes politiques qui portent atteinte aux libertés. À l’opposé, elle appuie la démocratie –comme le pape Pie XII l’a dit avec force lors de la dernière guerre mondiale dans un célèbre message– parce qu’elle repose sur des principes de liberté et d’égalité fondamentale entre les hommes, si malaisée que puisse être son instauration dans des États qui longtemps ne l’ont pas connue.

Ce contexte, ce climat, si heureusement améliorés, offrent à l’UNESCO des possibilités accrues, spécialement durant cette Décennie du développement culturel qui est, entre autres, marquée par le souci de la sauvegarde du patrimoine culturel et naturel dont l’UNESCO contribue si heureusement à la reconnaissance et à la protection, le déclarant patrimoine mondial dans ses réalisations les plus remarquables.

Le développement de la culture, au sens le plus large, le plus complet, le plus réaliste, implique l’éducation, l’acquisition des savoirs et des pratiques qui, tout à la fois, respectent la culture de chaque peuple et lui donnent toute sa valeur, et en même temps sont ouverts à la science et à la technologie qui, bien comprises et appliquées, doivent enrichir l’homme et la société humaine dans un sens spirituel. Mais il nous faut lutter contre ses perversions, parmi lesquelles il faudrait signaler la prolifération des armements, spécialement ceux dont les effets sont les plus meurtriers, ainsi que certaines pratiques biologiques qui, dans le cas de l’homme, constituent une atteinte infiniment grave à la dignité, au respect absolu de la personne humaine, lorsqu’elles touchent surtout la génération et le terme de la vie terrestre.

La délégation du Saint-Siège voudrait, au terme de son intervention, souligner le sens et l’importance de l’universalité que doit partager l’UNESCO avec l’Organisation des Nations Unies et ses autres institutions spécialisées, et dont on ressent de plus en plus la nécessité. Contrairement à ce qu’on croit assez souvent, cette universalité n’est pas une abstraction ou une vaine mise en commun de vues et d’actions, elle doit prendre la forme d’initiatives concrètes et tout faire pour les réaliser.

L’UNESCO notamment est un lieu où s’affirme pleinement la souveraineté et l’identité de chaque nation, et en même temps leur fondamentale égalité. Le réalisme pourtant nous fait un devoir de reconnaître les problèmes complexes et combien délicats dont toute l’histoire a été marquée et que pose, spécialement aujourd’hui, l’harmonisation des souverainetés et des affirmations nationales. Celle-ci ne pourra se réaliser que par des concessions réciproques et dans le respect des minorités –de leur langue, de leur culture– que comptent tant de nations.

D’ailleurs ces souverainetés n’auront-elles pas désormais à s’ouvrir au-delà des affrontements aux si funestes conséquences à une solidarité accrue au sein de plus grandes unités. Alors seulement la paix sera une véritable paix, et sera pleinement réalisée l’universalité des nations.

Merci, Monsieur le Président.

Pour consulter les résolutions de la 26e Conférence Générale :
http://unesdoc.unesco.org/images/0009/000904/090448f.pdf