Intervention de Mgr Angelo Felici, chef de délégation, durant le débat de politique générale

Le bien commun des nations : Mgr Angelo Felici à la 24e session de la Conférence Générale de l’UNESCO

Maison de l’UNESCO, 26 octobre 1987

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Monsieur le Président, la délégation du Saint-Siège est heureuse de vous présenter ses félicitations chaleureuses et respectueuses pour votre élection à la présidence de la vingt-quatrième session de la Conférence générale de l’UNESCO.

Monsieur le Président, Monsieur le Directeur général de l’UNESCO, Excellences, Mesdames, Messieurs, le Saint-Siège, qui jouit du statut d’observateur auprès de l’UNESCO depuis 35 ans, a toujours suivi, discrètement mais attentivement, les activités de l’organisation, à laquelle il n’a jamais cessé de donner son soutien et sa collaboration dans les domaines d’intérêt commun, autant que faire se pouvait. La délégation du Saint-Siège est heureuse de pouvoir redire, à l’occasion du débat de politique générale de la vingt-quatrième session de la Conférence générale, l’estime que le Saint-Siège attache au rôle de l’UNESCO, dans une conjoncture internationale difficile, qui a eu et a encore des répercussions sur la vie de l’UNESCO.

Certes, les difficultés de l’UNESCO ne sont pas encore entièrement surmontées, mais il faut rendre hommage à tous ceux qui ont œuvré et continuent à œuvrer pour des réformes substantielles jugées indispensables, capables de donner une efficacité accrue à l’organisation et une plus juste appréciation de ses finalités et de son rôle en faveur d’un monde qui a connu tant de changements ces 40 dernières années. L’information n’ayant pas toujours été suffisante ni objective, l’opinion n’a pu, dans bien des cas, saisir exactement la nature et les causes de ces difficultés, aussi bien que le contenu et les motivations des critiques faites à l’ensemble du système des Nations Unies et plus spécifiquement à l’UNESCO, et n’a pu saisir non plus la portée des solutions envisagées, plus ou moins ouvertement, qui tendaient parfois même à privilégier entièrement ou partiellement les relations bilatérales au détriment des relations multilatérales.

Heureusement, les polémiques souvent passionnées, les remises en question souvent brutales, les explications apportées par les responsables et les réflexions nombreuses de ceux qui, à divers titres, ont œuvré avec l’UNESCO et ont suivi de près son action, amènent de plus en plus à reconnaître la valeur de la plus grande partie de ses activités, et elles aident l’opinion à mieux comprendre non seulement l’utilité de l’organisation, mais plus encore son rôle irremplaçable.

Ce rôle trouve son origine et sa source dans une exigence d’universalité. L’UNESCO est nécessaire parce que, bien plus encore qu’à l’époque de sa création, un grand nombre de problèmes ne peuvent trouver aujourd’hui une solution satisfaisante qu’à l’échelle mondiale et avec le concours de tous les gouvernements. Ceci vaut certes pour de nombreux domaines, mais tout spécialement pour ceux qui sont de la compétence de l’UNESCO : ne s’agit-il pas en effet d’élever dans l’esprit des hommes les défenses de la paix grâce à l’éducation, la culture, les sciences exactes et naturelles, les sciences sociales et la communication ? Permettez-moi de citer les paroles que Jean-Paul II prononça en la présence du Président des États-Unis d’Amérique, le 10 septembre dernier :

Le bien commun de la société n’embrasse pas seulement la nation particulière à laquelle on appartient, mais tous les citoyens du monde entier. […] Les relations actuelles entre les peuples et entre les nations réclament l’établissement d’une plus grande coopération internationale entre toutes les nations, tout en respectant leur dignité et leur propre responsabilité.

Il n’est pas question de méconnaître ou de minimiser les si nombreuses activités dont la conception et la réalisation se situent uniquement au niveau national, ni les si légitimes différences de situations, de traditions, de cultures, qui font la spécificité et la valeur propre de chaque nation. Mais il apparaît aujourd’hui nécessaire de mettre en garde les nations contre une tentative d’autosuffisance et de repli sur elles-mêmes, contre une conception des services qu’une nation peut et doit apporter à d’autres nations qui se trouvent dans la nécessité ou dans la détresse, en voulant garder quasi entièrement la maîtrise des services apportés. Une telle conception n’assure pas suffisamment le respect de l’égalité fondamentale de toutes les nations.

C’est cette égalité fondamentale que les nations peuvent trouver dans leur rencontre au sein de l’Organisation des Nations Unies et de ses institutions spécialisées. Dans ce cadre, tout spécialement, se manifeste et se traduit la solidarité de plus en plus étroite entre toutes les nations du monde, et se réalise la communauté mondiale. Le Pape Jean-Paul II, à plusieurs reprises, a souligné cette solidarité et ses implications. Ainsi, dans le document consacré par la Commission pontificale « Justice et paix » à l’endettement des pays en développement [1], il est déclaré que :

l’interdépendance accrue des nations rend nécessaire une concertation internationale pour poursuivre les objectifs du bien commun […] solidarité qui, au lieu de conduire à l’égoïsme des nations et à l’inégalité, doit se traduire par un partage des efforts et des sacrifices, doit susciter une fraternité en vue de la paix et du développement.

C’est dans ces perspectives concrètes qu’il faut reconnaître et satisfaire les exigences d’universalité et de solidarité. Si l’UNESCO devait perdre durablement son universalité, par delà les difficultés matérielles très difficilement surmontables qui en résulteraient, c’est son utilité et, bien plus encore, son existence même qui pourraient être mises en question.

En rappelant l’exigence d’universalité, on ne peut pas oublier les réformes qui s’imposent afin que l’UNESCO puisse répondre pleinement à ses finalités, et que l’universalité se traduise en une action efficace, assurée au moindre coût. Cette amélioration, par ailleurs très souvent évoquée, implique une évaluation plus précise et plus stricte des méthodes de travail, un soin attentif de ne pas s’engager dans des tâches déjà assurées par d’autres organismes. Entre autres, il paraît souhaitable et utile que l’UNESCO confie davantage, plus encore que par le passé, des tâches d’exécution et la prise en charge de ses projets à d’autres instances, telles que, par exemple, les organisations internationales non gouvernementales, en se réservant les actions qui lui sont propres, et en jouant en même temps un rôle d’initiative, de mobilisation et de coordination en vue d’une fructueuse collaboration. Cette amélioration souhaitable de l’action de l’UNESCO dépend des responsables directs de l’organisation aussi bien que des États membres, tous œuvrant sincèrement au maintien de l’universalité et à la réalisation effective de la solidarité.

Ces deux objectifs majeurs trouvent leur fondement dans la défense et la promotion des droits de l’homme, dans le respect de la dignité de l’être humain, laquelle exige que soit assurée à tous les hommes une authentique liberté. Permettez-moi, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, de citer encore une fois des extraits d’un discours de Jean-Paul II lors de sa récente visite aux États-Unis d’Amérique :

La seule véritable liberté est de faire ce que nous devons faire en tant qu’êtres humains créés par Dieu, selon son plan. C’est la liberté de vivre la vérité de ce que nous sommes et de ce que nous sommes devant Dieu, la liberté de notre identité comme enfants de Dieu, comme frères et sœurs dans une humanité commune.

Le respect de la dignité de l’être humain devient alors le fondement du respect des droits, de l’indépendance et de l’égalité de chaque peuple et de tous les peuples.

Comment ne pas reconnaître que, malgré les nombreuses difficultés, l’humanité tout entière est en marche vers un avenir meilleur, grâce à un effort de solidarité universelle ? Comment ne pas faire confiance à une UNESCO capable de se réformer pour devenir de plus en plus la conscience du monde en transformation ? Qu’il me soit permis de reprendre les mots de Jean-Paul II qui ont résonné dans cette même salle :

Ne cessez pas. Continuez. Continuez toujours.

Avant de conclure, je voudrais signaler que le Saint-Siège attache une importance particulière à trois aspects du programme pour 1988-1989, où l’action de l’UNESCO apparaît opportune et féconde :
– la place croissante faite à la famille, cellule de base de la société, avec des études en profondeur sur sa nature et son contenu dans les différentes cultures, sur les places assignées à la paternité et à la maternité responsables, sur son rôle dans l’éducation des enfants, sur les liens unissant les membres d’une famille, celle-ci prise au sens élargi ;
– le lancement de la Décennie mondiale du développement culturel, afin de mieux reconnaître que la culture doit contribuer à l’élévation de tout l’être humain et qu’elle doit être accessible à tous les hommes sans aucune restriction ou discrimination ;
– les grands programmes scientifiques, qui bénéficient d’une approbation unanime, mais dont nous souhaiterions que soit mieux reconnu le concours qu’ils apportent, dans leur ensemble et selon leur spécificité, au développement intégral et au progrès des conditions d’existence des hommes.

Merci, Monsieur le President.

Pour consulter les résolutions de la 24e Conférence Générale :
http://unesdoc.unesco.org/images/0007/000769/076995f.pdf

[1COMMISSION PONTIFICALE « JUSTICE ET PAIX », Au service de la communauté humaine : une approche éthique de l’endettement international, Typographie Polyglotte Vaticane, Cité du Vatican, 1986.