Intervention de Mgr Francesco Follo sur l’Éducation et écologie intégrale

Regarder l’environnement comme « maison » : Mgr Francesco Follo à la 199e session du Conseil Exécutif de l’UNESCO

Maison de l’UNESCO, le 8 avril 2016

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« Mr le Président du Conseil Exécutif,
Excellences,

Le Saint-Siège est heureux de pouvoir prendre la parole pendant les travaux de la 199ème session du Conseil Exécutif et de proposer sa contribution au Cadre d’action Éducation 2030 et à la Stratégie de l’UNESCO pour faire face au changement climatique (doc. 199EX/16) dont l’achèvement est prévu pour la session d’automne de ce conseil.

Il souhaite en particulier donner sa contribution aux réflexions et programmes concernant les formes d’éducation et de formation qui sont et doivent être de plus en plus liées à l’écologie. En effet si l’on veut une éducation intégrale [1] qui est l’accès de l’homme à sa pleine humanité, nous ne pouvons pas la faire sans une écologie intégrale, comme le Pape François l’a rappelé en particulier dans son Encyclique Laudato Si’ sur la sauvegarde de la Maison Commune. Dans cet important document, le Saint-Père propose – entre autres - une éducation qui « ayant pour vocation de créer une ‘citoyenneté écologique’ » soit formatrice d’un humanisme intégral.

Si, d’une part, l’éducation est une urgence, elle doit être intégrale parce qu’une information technique et scientifique n’est pas suffisante pour éduquer des femmes et des hommes responsables dans leur famille, et à tous les niveaux de la société nationale et internationale.

D’autre part, les temps actuels enregistrent une capacité croissante de l’homme à intervenir pour transformer. L’aspect de conquête et d’exploitation des ressources est devenu prédominant et envahissant, et il est même parvenu aujourd’hui à menacer la capacité hospitalière de l’environnement : l’environnement comme « ressource » risque de menacer l’environnement comme « maison ». À cause des puissants moyens de transformation offerts par la civilisation technologique, il semble que l’équilibre homme-environnement ait atteint un seuil critique.

Toutefois et avant tout, il serait bon se demander quelle est la nature des problèmes spécifiques que nous avons à l’esprit et comment ils sont reliés. En effet, éducation et formation nécessitent toujours une orientation intégrale parce qu’elles concernent tout l’homme.

Il semble que les problèmes les plus évidents résident dans les défis techniques et éthiques qui nous attendent dans un contexte de crise de l’environnement global.
Depuis les dernières décennies, notre forme d’économie est liée à deux difficultés majeures qui nécessitent, pour les résoudre, des investissements dans le champ de l’éducation et de la formation.

La première difficulté vient du fait que l’on surexploite des ressources naturelles en les consommant pour des intérêts économiques à court-terme, et sous-estimant les conséquences de cette surexploitation pour les générations futures. Certaines activités d’exploitations ont réduit la capacité hospitalière de l’environnement qui n’est pas seulement une « ressource » mais aussi et surtout une « maison » pour toutes et tous. Donc :

La protection de l’environnement constitue un défi pour l’humanité tout entière : il s’agit du devoir, commun et universel, de respecter un bien collectif, destiné à tous (Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 466).

Et déjà St Jean-Paul II écrivait :

L’on ne peut impunément faire usage des diverses catégories d’êtres, vivants ou inanimés - animaux, plantes, éléments naturels - comme on le veut, en fonction de ses propres besoins économiques. Il faut au contraire tenir compte de la nature de chaque être et de ses liens mutuels dans un système ordonné, qui est le cosmos. (Jean-Paul II, Encyclique Sollicitudo rei socialis, 34 ; 1988).

Donc, si l’on veut construire la paix dans les esprits des hommes (cf. Prologue de l’Acte constitutif de l’UNESCO), il faut éduquer la personne humaine et protéger la Création. La responsabilité vers l’environnement implique l’éducation à une responsabilité vis-à-vis de notre planète. La dégradation de la nature est, en effet, étroitement liée à la culture qui façonne la communauté humaine, c’est pourquoi

quand l’“écologie humaine” est respectée dans la société, l’écologie proprement dite en tire aussi avantage (Caritas in veritate, n. 51).

C’est pour cette raison que le Pape François nous rappelle que l’éducation et

la culture écologique ne peut pas se réduire à une série de réponses urgentes et partielles aux problèmes qui sont en train d’apparaître par rapport à la dégradation de l’environnement, à l’épuisement des réserves naturelles et à la pollution. Elle devrait être un regard différent, une pensée, une politique, un programme éducatif, un style de vie et une spiritualité qui constitueraient une résistance face à l’avancée du paradigme technocratique. Autrement, même les meilleures initiatives écologiques peuvent finir par s’enfermer dans la même logique globalisée. Chercher seulement un remède technique à chaque problème environnemental qui surgit, c’est isoler des choses qui sont entrelacées dans la réalité, et c’est se cacher les vraies et plus profondes questions du système mondial (Laudato Si’, n. 111).

On ne peut exiger des jeunes qu’ils respectent l’environnement si on ne les aide pas, en famille et dans la société, à se respecter eux-mêmes. Les devoirs vis-à-vis de l’environnement découlent des devoirs vis-à-vis de la personne considérée en elle-même, et en relation avec les autres. Il faut donc encourager l’éducation à une responsabilité écologique, qui développe une authentique « écologie humaine ».

La deuxième difficulté réside dans la destruction de plus en plus avancée de l’environnement qui devient un sujet de préoccupation pour toutes les nations. Certaines interventions dans l’équilibre écologique vont se retourner contre l’humanité, et parfois cruellement. Par conséquent, il est nécessaire de développer de plus en plus de stratégies pour mieux contrôler les répercussions de notre gestion de l’économie.

Face à la surexploitation et à la destruction avancée de l’environnement, la place de l’éducation et de la formation est immense : techniquement, elle réside certainement dans l’augmentation de la part de l’éducation pour tous et dans l’utilisation des formes de production plus efficaces. Toutefois, les progrès observés dans ce domaine risquent de demeurer sans effet s’ils ne profitent pas à tous les êtres humains.

Nos problèmes globaux nécessitent des réponses globales, et l’accès aux techniques et aux méthodes doit être facilité pour tous les hommes [2]. De ce fait ce sont aussi les immenses potentialités intellectuelles des hommes qui jusqu’ici n’ont pu trouver accès à la formation et à la connaissance qui pourraient se développer au bénéfice de toute l’humanité. À notre époque, il existe une autre forme de propriété à partager et elle a une importance qui n’est pas inférieure à celle de la terre : c’est la propriété de la culture, qui implique la connaissance, la technique et le savoir.

Les problèmes de notre temps renvoient la réflexion aux problèmes sociaux qui sont sous-jacents : la distribution injuste des terres et du capital perpétue un dysfonctionnement technique qui se répercute en même temps sur les pays riches, ce qui demeure le plus grand scandale de notre temps [3]. De ce fait, la question de l’éducation dans le contexte du développement durable ne peut être résolue par un simple inventaire technique, mais elle doit se tourner vers le cœur moral du problème, comme Son Éminence le Card. Pietro Parolin l’a souhaité lors de son intervention à la Conférence des Parties à la Convention – COP 21, Paris, 30 novembre 2015, où il a plaidé pour

un accord globale et ‘transformateur’, fondé sur les principes de solidarité, de justice, d’équité et de participation … Cet accord global et transformateur devrait asseoir ses fondements sur trois piliers, dont le premier consiste en l’adoption d’une orientation éthique claire qui inspire les motivations et finalités de l’Accord à mettre en œuvre.

Donc, il est important que les enfants, les adolescents et les adultes redécouvrent la solidarité. Dans cette optique, les expériences des Écoles-Projets de l’UNESCO sont très encourageantes. À cet égard, le Saint-Siège encourage l’UNESCO pour chaque Ecole qui va dans le sens de la solidarité.

Pour traiter sérieusement la crise de notre temps, il est nécessaire de développer un concept étendu de rationalité. Les jeunes doivent apprendre à se demander si ce qu’ils font a un sens, afin d’éviter de rendre absolu tout ce qu’ils font, avec le risque que cette certitude soit erronée. Celui qui n’apprend jamais à se demander quel est le but qu’il veut atteindre, vers où tendent ses désirs et ses efforts, celui-là s’enferme dans le présent et perd ses capacités pour le futur. Au contraire, celui qui est capable de se concentrer sur le présent avec la conscience d’un futur qui n’est pas à sa disposition, celui-là sera libre de donner forme au futur.

A cet égard, le Saint-Siège soutient l’action du Secteur des Sciences naturelles de l’UNESCO et de tous ses programmes, parmi lesquels je voudrais citer, entre autres, les programme de géologie, le MAB (homme et biosphère), la COI (Océans), le PHI (Eau) qui travaillent à la formation des étudiants ; ces programmes, à long terme, contribuent au développement des pays, dans les dimensions écologiques, sociales et économiques. Le Saint-Siège salue également les efforts de la plate-forme intersectorielle sur l’éducation aux sciences car elle fait comprendre aux étudiants la valeur de telles études.

Pour comprendre le sens des études, et donc le sens de la vie, il faudrait encourager les programmes éducatifs qui vont dans l’unité du savoir : par exemple, les scientifiques et les ingénieurs pourraient recevoir des cours de philosophie afin d’apprendre aussi à raisonner dans l’abstrait, alors que les formations philosophiques et littéraires pourraient intégrer dans leurs programmes le raisonnement analytique des scientifiques. Depuis quelques années, le Saint-Siège (notamment le Conseil Pontifical de la Culture en collaboration avec des Université Pontificale a Rome) a développé une initiative nommée Projet STOQ (Science, Technologie et la Question ontologique). Il a pour but de promouvoir le dialogue entre sciences, philosophie et théologie et de rendre compte de la vision chrétienne de la personne et de la société en fonction des défis théoriques, éthiques et culturels. Beaucoup d’écoles catholiques et d’écoles professionnelles pratiquent de telles formations, et dans le cadre du développement intégral de la personne ces bonnes pratiques pourraient être étendues le plus largement possible, dans le monde et dès le plus jeune âge.

Une telle capacité de former le futur ne grandit que là où est permise une expérience de la transcendance. Lorsque les hommes comprennent que le monde est beaucoup plus que la terre qu’ils travaillent avec leurs concepts techniques et économiques, alors leurs horizons étroits s’élargissent sur les questions qui les préoccupent. Nous devrions nous rendre compte que le vrai réalisme ne peut apparaître que lorsque l’homme est préparé à se voir depuis le futur, un futur qui le transcende.

Enfin, le Saint-Siège soutient une éducation au partage, pour faciliter un développement durable. Ceci est essentiel pour les Objectifs du Développement Durable 2030, dans le cadre de la stratégie à moyen terme (38 C/4).

En effet, les devoirs les plus grands incombent nécessairement aux plus doués, « riches » en culture et savoir, non pas seulement en argent. Ici « riche » est à entendre dans un sens uniquement social et culturel. Dans ces propos le riche, le favorisé, la personne bien cultivée est d’abord celui qui sait, celui qui a appris à discerner le bien commun. Il est celui qui a reçu un patrimoine culturel : il sait vivre dans sa cité, il connaît l’histoire de celle-ci, il sait discerner les apports heureux de l’histoire et les accidents qu’il faut éviter. Et s’il se reconnaît comme riche de cette manière, on admettra qu’il veuille partager ses richesses. On suppose donc que nos richesses culturelles, de multiples manières, sont un facteur de bonheur. Et nous avons quelque envie de ne pas garder notre bonheur pour nous.

Le « riche » donc n’est pas celui qui possède. Il est celui qui transmet et qui partage. Nous sommes invités au partage.

Il n’y aura ni harmonie, ni bonheur pour une société qui ignore, qui oublie, qui met en marge, qui abandonne dans les périphéries toute une partie d’elle-même. C’est seulement quand nous sommes capables de partager que nous nous enrichissons vraiment (Pape François, Discours à la communauté Varginha, le 25 juillet 2013).

Le partage matériel et « immatériel », spirituel, n’implique pas un appauvrissement : il s’agit d’un enrichissement réciproque. Et puisque la plupart d’entre nous ici présents sont certainement dans la situation de celui qui est reconnu comme personne bien élevée, nous avons donc une tâche à accomplir, qui n’est pas de seconde importance.

Je vous remercie de votre attention. »

[1Cf. Laudato Si’, nn. 10, 11, 62, 124, 137, 156, 159, 225, 230.

[2« La propriété privée et publique, ainsi que les divers mécanismes du système économique, doivent être prédisposés en vue d’une économie au service de l’homme, de sorte qu’ils contribuent à mettre en œuvre le principe de la destination universelle des biens. C’est dans cette perspective qu’apparaît l’importance de la question relative à la propriété et à l’usage des nouvelles technologies et connaissances, qui constituent, à notre époque, une autre forme particulière de propriété, d’importance non inférieure à celle de la terre et du capital. » ([http://assau.org/le-compendium-de-la-doctrine], n. 283).

[3« Alors que s’ouvre un nouveau siècle, il est une question qui, plus que toute autre, interpelle notre conscience humaine et chrétienne : la pauvreté de milliards d’hommes et de femmes. » (Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la Paix, 2000)

Document(s)

Discours de Mgr Francesco Follo - Avril 2016

Discours pour l’« Education et écologie intégrale » de Mgr Francesco Follo à l’occasion de la 199ème Session du Conseil Exécutif de l’UNESCO le 8 avril 2016.